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VICHY RÉGIME DE

La « Révolution nationale » : une révolution culturelle

Philippe Pétain et bon nombre de ceux qu'on trouvait dans les allées du nouveau pouvoir se seraient bien passés de devoir gérer les relations avec le Reich, relations qui devenaient au fil des mois de plus en plus pesantes. Mais ils entendaient mettre en œuvre, coûte que coûte, le grand dessein de remodeler la France, dans ce qui sera appelé la « Révolution nationale », projet qui en terminerait avec ce qu'ils considéraient comme des décennies d'erreurs et de gabegie démocratique.

Cette révolution culturelle devait instaurer « un État national, autoritaire, hiérarchique et social », qui façonnerait dans les jeunes générations un « homme nouveau ». Les sources idéologiques n'étaient pas vraiment celles du fascisme, mais se rattachaient plutôt aux thématiques contre-révolutionnaires, et notamment au maurrassisme. Mais on ne doit pas pour autant sous-estimer une certaine influence du catholicisme social, voire des courants « non conformistes » si actifs dans les années 1930.

Six points peuvent caractériser l'idéologie du nouveau régime : la condamnation sans appel de l'individualisme ; le refus du principe égalitaire ; une pédagogie anti-intellectualiste ; la défiance à l'égard de l'industrialisme ; l'appel à un rassemblement national ; l'affirmation d'un nationalisme fermé.

Pour combattre l'individualisme, tenu pour l'agent le plus dissolvant de la société comme de la nation, il convenait de redonner toute leur place à ce que l'on estimait être des « communautés naturelles », c'est-à-dire à la famille, la profession, la patrie. Le droit des familles est considéré comme antérieur et supérieur à celui de l'État. Si la mère de famille est honorée à l'envi, si la maternité est assimilée à un devoir national, c'est bien le père qui demeure le « chef de famille ». Il fallait ensuite « organiser » la société pour la rendre solidaire en s'inspirant du modèle corporatiste. Le modèle du genre en fut la « Corporation paysanne », créée par la loi du 2 décembre 1940, fonctionnant de façon hiérarchique et pyramidale, regroupant « tous ceux qui vivent de la terre ». Si l'affiliation à ce syndicat unique n'était pas obligatoire, elle était nécessaire pour bénéficier de certaines prestations. La « Charte du travail », mise en œuvre par la loi du 4 octobre 1941, s'appliqua aux professions industrielles, mais les structures de ce syndicat unique, dont la finalité était d'en finir avec la lutte des classes, étaient si compliquées qu'elles en devinrent tout à fait inopérantes. Ajoutons que l'action du gouvernement se fit également sentir sur certaines professions libérales : c'est notamment alors que fut institué l'ordre des médecins.

Le refus de l'égalitarisme, jugé tout aussi pernicieux, est l'autre grand principe de l'idéologie vichyssoise. On tenait pour particulièrement dangereuse la tyrannie démagogique du suffrage universel ; Philippe Pétain affirmait : « Il ne suffit plus de compter les voix ; il faut peser leur valeur pour déterminer leur part de responsabilité dans la communauté ». À l'encontre des utopies pseudo-égalitaires, il fallait rétablir à chaque niveau les hiérarchies, restaurer de véritables élites sociales et professionnelles, en les formant désormais dans des écoles spécifiques de cadres. La plus connue d'entre elles était installée près de Grenoble, au château d'Uriage. Là, au nom du Maréchal, les stagiaires allaient pratiquer jusqu'en décembre 1942 ( date à laquelle l'école d'Uriage fut fermée après avoir été jugée trop indépendante) l'alternance quotidienne des activités physiques et intellectuelles, alternance visant à créer une communauté nationale solidaire.[...]

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Écrit par

  • : professeur des Universités à l'Institut d'études politiques de Paris

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre AZÉMA. VICHY RÉGIME DE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Pétain et Hitler à Montoire, 1940 - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Pétain et Hitler à Montoire, 1940

Défaite de la France en 1940 - crédits : National Archives

Défaite de la France en 1940

Autres références

  • UNE EXCEPTION ORDINAIRE (A. Bancaud)

    • Écrit par Frédéric CHAUVAUD
    • 1 080 mots

    Tandis que les études d'histoire judiciaire se multiplient sur les avocats, le parquet, la justice politique et les grandes affaires, la magistrature, dans son ensemble, à condition d'excepter la grande fresque, volontiers hagiographique, publiée par Marcel Rousselet en 1957, restait un angle...

  • ABETZ OTTO (1903-1958)

    • Écrit par Jean BÉRENGER
    • 332 mots

    Important dignitaire nazi, artisan dès avant 1933 d'une réconciliation franco-allemande en particulier avec Jean Luchaire et Fernand de Brinon, Otto Abetz eut pour rôle essentiel d'occuper, de 1940 à 1944, le poste d'ambassadeur d'Allemagne à Paris. Sa mission avait un double caractère qui dépassait...

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