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ARON RAYMOND (1905-1983)

De l'analyste à l'universitaire

En 1955, Raymond Aron revient à l'Université. Il enseignera à la Sorbonne jusqu'en 1967, puis à l'École pratique des hautes études. En 1970, il entre au Collège de France. Universitaire lointain, travailleur, savant, il n'a pas le goût du document. Les critiques, souvent justifiées, qu'il adresse aux concours traditionnels dérivent de là autant que de ses réserves sur la rhétorique dont il appréciait l'aspect de controverse. Excellent analyste des textes, debater virtuose, cet amateur d'histoire n'a pas la curiosité des sources. Son intérêt, c'est l'homme.

De cette disposition sort une œuvre complexe, souvent mal comprise. Il est à l'origine de la création d'une licence de sociologie, moins érudite au départ que les licences d'enseignement traditionnelles. Il entrevoit, l'un des premiers, l'inadéquation des facultés à enseigner une population étudiante multipliée, mais il opte pour des mesures de sélection, ce qui, en 1968, le met en porte à faux. Il crée le Centre européen de sociologie historique dont le directeur effectif sera Pierre Bourdieu jusqu'à la brouille survenue lors de la « révolution introuvable ». Au-delà d'une opposition de personnes, Aron suggère, dans ses Mémoires, une divergence méthodologique : à l'inverse de ses successeurs, il répugnait à l'enquête sur le terrain et prétendait conserver une perspective philosophique.

C'est bien de philosophie qu'il s'agit dans Les Étapes de la pensée sociologique (Paris, 1967) : ce qui est en cause, c'est le régime de principes sur lesquels repose l'interprétation des faits sociaux. À la critique très dure de Georges Davy qui lui reprochait, en fidèle épigone de Durkheim, d'avoir confondu, en rétablissant Montesquieu et Tocqueville, science politique et sociologie, Aron répondait simplement que le primat de la société globale sur le politique n'était pas plus fondé que la croyance inverse. Le livre passe souvent pour un plaidoyer en faveur du libéralisme, mais il ne s'y limite pas. La conclusion – qui oppose les points de vue de Durkheim, de Pareto et de Weber, penseurs contemporains les uns des autres, en expliquant leurs divergences par des considérations de culture et de problèmes nationaux – montre à l'évidence que le but recherché est avant tout, pour assouplir le discours scientifique, d'affirmer une fois de plus le principe épistémologique fondamental d'une pluralité fondée de points de vue.

Le pluralisme devient objectal dans les trois ouvrages tirés des cours des années 1955 à 1958 : Dix-Huit Leçons sur la société industrielle (Paris, 1962), La Lutte des classes (Paris, 1964) et Démocratie et totalitarisme (Paris, 1966). (On en rapprochera La Société industrielle et la guerre, Paris, 1958, Trois Essais sur l'âge industriel, Paris, 1966, et, après 1968, Les Désillusions du progrès, Paris, 1969.)

La société industrielle se présente dans la pensée aronienne comme un idéal type, c'est-à-dire comme un tableau stylisé qui permet une interprétation des faits. L'usage de l'idéal type dans l'enquête sociologique a été introduit par Max Weber. Il n'y a pas ici, chez Aron, d'innovation méthodologique. L'originalité se trouve dans l'application. Weber envisageait certains modes d'organisation, soit économiques, comme le capitalisme fondé sur l'appropriation privée des moyens de production, soit religieux, comme la mentalité protestante façonnée par la croyance à une double prédestination, soit politiques, comme le principe de légitimité, bureaucratique ou charismatique ; puis il les rapprochait pour en tirer des éléments d'intelligibilité. Parsons s'en inspirera étroitement. Aron a, au contraire, tendance à effacer la « formule[...]

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Pour citer cet article

Bernard GUILLEMAIN. ARON RAYMOND (1905-1983) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BAECHLER JEAN (1937-2022)

    • Écrit par Alexandre ESCUDIER
    • 1 184 mots
    En 1975, sous la direction de Raymond Aron, Jean Baechler soutient une thèse de doctorat, Les Suicides, dont on peut dire qu’elle fera date. À partir d’une conception « stratégique » de l’action dont il ne se départira plus, il dégage douze sens typiques du suicide, en forme d’histoire...
  • CAPITALISME - Sociologie

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 3 521 mots
    • 2 médias
    ...résonance avec un débat récurrent au long du xxe siècle : faut-il choisir la voie socialiste ou celle du capitalisme ? Au milieu des années 1950, Raymond Aron prend de la distance avec cette opposition polémique. Après tout, par-delà leurs différences, ces deux systèmes possèdent de nombreux traits...
  • CLASSES SOCIALES - La théorie de la lutte de classes

    • Écrit par André AKOUN
    • 8 287 mots
    C'est ce que montre Raymond Aron, qui conclut : « Le marxisme est une interprétation de la société d'ancien régime à la lumière de la société moderne et de la société moderne à la lumière de la société d'ancien régime. »
  • COMPRÉHENSION (sociologie)

    • Écrit par Isabelle KALINOWSKI
    • 903 mots

    C’est au sein des sciences humaines allemandes de la seconde moitié du xixe siècle que la notion de compréhension a été formulée pour la première fois par l’historien Johann Gustav Droysen puis par le philosophe Wilhelm Dilthey. Elle est d’emblée définie en référence à un dualisme des...

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Voir aussi