POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES)
Littérature et néo-colonialisme
En Afrique et aux Caraïbes, la primauté d’un mouvement synthétique comme la négritude se voit remise en question. Le roman du Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, L'Aventure ambiguë (1961), présente l'archétype de la dualité culturelle vécue par les intellectuels colonisés à travers l’itinéraire de son personnage, Samba Diallo, qui meurt à la fin du roman, sans doute par impossibilité de concilier foi musulmane africaine et raison occidentale.
Les romanciers font éclater les cadres traditionnels, parodiant les mythes attachés à l’image de l’Afrique (Yambo Ouologuem, Le Devoir de violence, 1968) ou inventant une langue d’écriture originale, comme Ahmadou Kourouma (1927-2003), dans Les Soleils des indépendances (1968 pour l’édition québécoise, 1970 pour l’édition française). Les romans témoignant de la déstructuration de la société, en particulier de la dictature, fleurissent (Alioum Fantouré, Henri Lopes). Certains auteurs, tels Williams Sassine (1944-1997) ou Mongo Beti (1932-2001), évoquent un monde néocolonial dominé et malade.
À partir de la fin des années 1970, l’écriture féminine vient témoigner de la condition des femmes africaines dans le contexte post-colonial, avec la Sénégalaise Mariama Bâ (Une si longue lettre, 1979). À Madagascar, alors qu’un Jean-Joseph Rabearivelo (1901-1937) avait privilégié une poésie située dans « l’entre-deux-langues », transposant des formes poétiques traditionnelles tel le hain-teny, les écrivains des années 1960 se font plus militants, à l’instar de Jacques Rabemananjara (Antidote, 1961).

Édouard Glissant
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Édouard Glissant
À la fois poète et romancier, Édouard Glissant a également beaucoup milité pour l'affirmation de…
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En Haïti, indépendant dès 1804, l’œuvre romanesque de Jacques Roumain (1907-1944 ; Gouverneurs de la rosée, 1944) puis celle de Jacques Stephen Alexis (1922-1961 ; Compère g énéral Soleil, 1955) associent thématique populaire, imagination animiste tout en mêlant langues française et créole. Aux Antilles, le souci d’un enracinement dans l’île, voire d’une union avec l’ensemble de la Caraïbe, prend la forme de l’Antillanité, courant illustré dès 1958 par le roman d’Édouard Glissant (1928-2011), La Lézarde. Les caractéristiques des peuples créoles, nés de l’esclavage et de l’univers des plantations, constituent une thématique fondatrice pour les œuvres de Simone Schwarz-Bart (Pluie et vent sur Télumée Miracle, 1972) et de Daniel Maximin (L’Isolé S oleil, 1981). Elles ont été présentées et plus systématiquement analysées par le mouvement de la créolité, à la fois art poétique et manifeste politique, défendu par Jean Bernabé (1942-2017), Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans Éloge de la c réolité (1989).
Dans l’ex-Indochine française, la succession des conflits donne lieu à des écritures de témoignage, où les œuvres françaises (Jean Hougron) coexistent avec leurs homologues francophones (les Vietnamiens Pham Duy Khiêm et Pham Vàn Ky), sans que l’on puisse vraiment parler d’une inspiration postcoloniale.

Assia Djebar
Sophie Bassouls/ Sygma/ Getty Images
Assia Djebar
Dans une œuvre romanesque où le travail sur la langue va de pair avec une interrogation sur…
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Au Maghreb, des œuvres romanesques et poétiques majeures (Driss Chraïbi, 1926-2007 ; Mohammed Dib, 1920-2003 ; Kateb Yacine) et des essais d’une grande puissance (Albert Memmi, 1920-2020 ; Frantz Fanon, 1925-1961) ont accompagné les décolonisations. Le dialogue entre les deux rives de la Méditerranée qui s’est ensuivi a mis en évidence le statut ambigu de la langue française : instrument d’un salutaire recul critique pour les uns, langue de l’aliénation pour les tenants de l’arabisation. Les œuvres de Mohammed Khaïr-Eddine (1941-1995), Tahar Djaout (1954-1993) ou Assia Djebar (1936-2015) témoignent de la diversité de ces littératures qui connaîtront une inflexion au début des années 1990, certains auteurs algériens prenant alors pour thème l’actualité de la vague islamiste (Rachid Mimouni, 1945-1995).
Les deux dernières décennies du xx e siècle sont[...]
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Écrit par
- Jean-Marc MOURA : professeur de littératures francophones et de littérature comparée, université Paris-Nanterre, membre de l'Institut universitaire de France
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Pour citer cet article
Jean-Marc MOURA, « POSTCOLONIALES FRANCOPHONES (LITTÉRATURES) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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Léopold Sédar Senghor au Conseil de l'Europe (Strasbourg, 1949)
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Léopold Sédar Senghor au Conseil de l'Europe (Strasbourg, 1949)
Universitaire, député sénégalais à l'Assemblée constituante de 1945, Léopold Sédar Senghor…
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