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BRUEGEL L'ANCIEN PIETER (1525 env.-1569)

Vers 1551, à Anvers, Bruegel dessine pour l'éditeur d'estampes Cock. Il y acquiert une telle familiarité avec l'œuvre du maître de Bois-le-Duc que ses contemporains le nommeront volontiers « un autre Bosch ». Pourtant, il s'agit moins, entre ces deux œuvres, d'une filiation que d'une métamorphose. Elles sont le double témoignage de deux âges distincts.

Vers 1553, Bruegel voyage en Italie. Sans doute reçoit-il de ce voyage tout ce qu'un compatriote d'Érasme, et un artiste, pouvait en attendre : la fréquentation d'hommes remarquables, celle des œuvres modernes et des vestiges grecs et latins. Mais le plus important, c'est la vision des vastes sites d'Alpes ou de Sicile, et les grands fleuves dans les vallées, avec les villes. Ces paysages, qu'il dessine en chemin, transparaîtront dans son œuvre future, quand, de dessinateur, il se sera fait peintre.

On l'a surnommé Pierre le Drôle ou Bruegel le Paysan ; et sans doute fréquentait-il, pour le plaisir et pour l'étude, les noces villageoises. Van Mander le raconte. Mais à Anvers, ou à Bruxelles, ses amis sont des savants et des philosophes. Et son œuvre est celle d'un homme instruit de Virgile et d'Ovide, de Lucrèce, et, à travers Diogène Laërce, d'Épicure et d'Héraclite.

Cette œuvre, on la louait jadis d'imiter fidèlement la nature. C'est pour d'autres raisons que notre époque la place au plus haut rang : entre Vinci et Vélasquez, entre Shakespeare et Cervantès, entre Montaigne et Rabelais.

Bosch et Bruegel

Peintre flamand, Bruegel puise à la source proverbiale et populaire ; mais la sagesse des nations n'est pas chez lui l'écho de la sagesse divine : c'est en philosophe qu'il en reprend les thèmes.

Il a peint dans les Proverbes l'innombrable folie humaine. Est-ce par le démon que le monde est renversé ? De part et d'autre d'un pilier central, un pénitent se confesse au diable, un moine agenouillé affuble un Christ d'une barbe d'étoupe : diable et jésus de mascarade et de dicton. Une villageoise, dans le coin gauche, ligote un diablotin : Satan n'est plus qu'un croquemitaine.

Le démoniaque tient pourtant dans cette œuvre une place importante. Dessinateur, Bruegel a popularisé les motifs de sorcellerie familiers à Bosch et à son école. La Dulle Griet ou Margot l'enragée pourrait passer pour un Hommage à Bosch : l'épée en main et sous le bras sa batterie de cuisine, casquée d'un pot, une mégère traverse un paysage infernal comme il ne s'en voit guère que chez le maître de Bois-le-Duc. Allégorie morale, ou politique, voire alchimique ? L'essentiel est sans doute qu'une folle s'arroge burlesquement ce lieu naguère contemplé par un ermite. Ce qui était chez Bosch signe du surnaturel est devenu pure fantaisie : peinture de ces images qui naissent du sommeil, de la fièvre, de la crédulité, ou de la seule plaisanterie.

Dans Saint-Jacques et Hermogène, dans La Chute du magicien, le saint, d'un signe de croix, fait exploser et choir le monde ridicule et répugnant des maléfices. Expression majeure de cet esprit d'exorcisme : La Chute des mauvais anges. Le même thème chez Bosch touche à l'essentiel : les anges rebelles, devenus monstres, sont précipités, et vont ensemencer de mort et de folie l'Éden. Ici, panse crevée, l'amas de rébellion bascule en un plaisant et lourd chaos que fustige l'épée d'anges clairs et graciles, irrésistibles. Cette victoire céleste a toute la force et toute la grâce d'un printemps. Et l'on dirait une victoire de la lucidité humaine sur tous les monstres des abîmes.

Peintre de l'Ancien Testament ou de l'Évangile, Bosch rendait sensibles sous l'apparence le divin ou l'infernal ; et le regard qu'il portait sur la Passion était proche de celui[...]

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Pour citer cet article

Claude-Henri ROCQUET. BRUEGEL L'ANCIEN PIETER (1525 env.-1569) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Tour de Babel</em>, P. Bruegel l’Ancien - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

La Tour de Babel, P. Bruegel l’Ancien

<it>La Moisson</it>, Bruegel l'Ancien - crédits : AKG-images

La Moisson, Bruegel l'Ancien

<it>La Rentrée des troupeaux</it>, Bruegel l'Ancien - crédits : AKG-images

La Rentrée des troupeaux, Bruegel l'Ancien

Autres références

  • ANVERS

    • Écrit par Guido PEETERS, Carl VAN DE VELDE, Christian VANDERMOTTEN
    • 8 398 mots
    • 5 médias
    Pierre Bruegel le Vieux (1525 env.-1569) apporte la synthèse de l'évolution précédente du paysage et de la peinture figurative, en éliminant ce qu'il y avait de conventionnel dans la conception de la nature chez Patenier. L'intégration de l'homme dans la nature et le message que ses œuvres contiennent...
  • BRUEGEL PIETER II, dit BRUEGEL D'ENFER (1564-1638)

    • Écrit par Jacques FOUCART
    • 785 mots

    Fils aîné de Pieter I Bruegel (le plus grand et le plus connu des Bruegel), tôt fixé à Anvers, Bruegel d'Enfer se forme chez un certain Gillis van Coninxloo qui ne serait pas, selon Marlier, le paysagiste, mais un peintre homonyme étroitement apparenté à la famille de Pieter Coecke dont...

  • MARINE, genre pictural

    • Écrit par Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE
    • 886 mots
    • 2 médias

    La peinture de marine, en tant que genre indépendant, se définit lentement dans la peinture occidentale, plus tard que le paysage et bien après le portrait ou la nature morte. Elle se développe pourtant à la faveur de la même évolution — naissance du tableau de chevalet, intérêt...

  • MOMPER JOOS DE (1564-1635)

    • Écrit par Jacques FOUCART
    • 1 168 mots

    Fils et élève du peintre et marchand d'art Bartholomeus Momper, franc-maître en 1581, puis doyen de la guilde des peintres en 1611, Joos de Momper dit Joos II le Jeune (lui-même petit-fils d'un peintre de Bruges, Joos I) paraît bien avoir mené presque toute sa carrière à Anvers...

Voir aussi