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PIC DE LA MIRANDOLE (1463-1494)

Philosophie naturelle et critique de l'astrologie

La métaphysique et la théologie – mieux vaudrait dire, d'après ce qu'on a vu, la philosophie spéculative – occupant la première place, la philosophie naturelle n'aura droit qu'à la seconde. Mais plus intéressante que le contenu de cette philosophie de la nature est la conception typique que le penseur italien se fait de la nature, car elle a déterminé dans l'histoire des idées, et d'abord dans l'univers intellectuel de la Renaissance, un courant de pensée passablement unitaire, compte tenu de la fluidité des concepts, de la continuelle imprégnation des idées par les images, et de la permanente irrigation des mythes et des symboles. Avant Agrippa de Nettesheim, Paracelse, Cardan et les Padouans, le modèle que Pic propose à la réflexion est celui d'un universel vitalisme. La nature n'est pas comparée à un grand livre où tous les phénomènes seraient classés et étiquetés ; elle ne se compose pas de parties, subdivisées elles-mêmes en genres et en espèces, qui différeraient substantiellement les unes des autres. Elle forme un immense réseau, mieux vaudrait dire, pour poursuivre avec les images aquatiques, un immense fleuve de vie. Chaque élément vital, chaque créature vivante – plantes, animaux, humains, et aussi les minéraux dont l'auteur décrit si souvent la naissance, le développement et le lent dépérissement – est un reflet ou plutôt un souffle du mouvement de vie universel. Par une « sympathie » universelle – l'harmonie du monde interprétée en termes musicaux est une image qui vient de Pythagore et dont la fortune sera immense à l'époque de la Renaissance et bien au-delà –, chaque élément est lié à tout le système d'occurrences. On reconnaît aussi la présence de la philosophie stoïcienne dans cette idée-image de l'univers comparé à une corde tendue dont chaque pulsion, en un quelconque de ses points, est propagée jusqu'à ses deux extrémités. C'est là une conception peut-être anthropocentrique de la nature, calquée sur la métaphysique de Pic, mais dont les prolongements se retrouveront dans les philosophies de Bruno, de Leibniz, de Schelling et des néo-kantiens. Pour paraphraser Leibniz lui-même, cette conception est « chargée du passé et grosse de l'avenir ». La nature, d'autre part, doit être interprétée comme le premier moment de l'esprit. Elle est raison, non pas encore la raison claire et consciente d'elle-même, mais la raison obscure et cachée, ratio mersa et confusa, selon ses propres expressions. On est encore ici près de Leibniz et de sa conception de la mens momentanea. Nature, humanité et Dieu se trouvent reliés entre eux, selon une analogie familière à Pic, comme le sont les couleurs, l'œil et la lumière. On pense inévitablement à Platon et à sa notion de l'idée de Bien, soleil du monde intelligible. Cette référence ne saurait surprendre de la part du grand académicien de Florence. Mais ce qui n'est pas chez Platon, défenseur héroïque des deux mondes séparés, c'est cette fonction centrale de l'homme, œil du monde (oculus mundi) qui unit en lui-même et comprend dans une seule vision la totalité de l'univers. Entre les idées du De dignitate hominis et la philosophie naturelle de Pic, le lien est substantiel : c'est l'opérateur humain (« la vision est une opération active ») qui décidera, par un décret de sa volonté et la puissance de son intelligence, de capter cette lumière, qui est Dieu, ou qui émane de Dieu, et qui se confond avec la vérité. Nul besoin dès lors de recourir à la magie ou au surnaturel – comme on l'a parfois reproché à Pic –, ou plutôt, les deux idées de magie et de surnaturel doivent être soigneusement séparées : la magie n'est pas pour lui l'utilisation de forces obscures, démoniaques,[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours

Classification

Pour citer cet article

Jean-Claude MARGOLIN. PIC DE LA MIRANDOLE (1463-1494) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ange Politien, fresque de C. Rosselli - crédits : G. Nimatallah/ De Agostini/ Getty Images

Ange Politien, fresque de C. Rosselli

Autres références

  • FIGURATIF ART

    • Écrit par Jacques GUILLERME
    • 2 901 mots
    • 1 média
    ...en allégorie. En ce sens, figurer c'est rendre visible une structure ésotérique selon une contention qu'a bien illustrée l'humaniste Pic de la Mirandole au xvie siècle : « [...] les anciens Pères eussent été incapables de représenter chaque chose sous la figure convenable, s'ils n'eussent...
  • RENAISSANCE

    • Écrit par Eugenio BATTISTI, Jacques CHOMARAT, Jean-Claude MARGOLIN, Jean MEYER
    • 31 095 mots
    • 21 médias
    ...Filelfo (1398-1481), C. Landino (1424-1498), E. Barbaro (1453-1493), A. Politien (1454-1494). Galateo (1444-1517) est médecin à la cour de Naples ; M. Ficin (1433-1499) traduit Platon et les néo-platoniciens sous la protection des Médicis.Pic de la Mirandole (1463-1494) était comte de la Concordia.
  • HUMANISME

    • Écrit par André GODIN, Jean-Claude MARGOLIN
    • 11 423 mots
    • 2 médias
    ...aujourd'hui d'idéologie – l'humanisme de la Renaissance n'exprime pas une philosophie déterminée. Un titre, celui du discours De dignitate hominis de Pic de la Mirandole (1486), et une phrase de ce discours préciseront un aspect essentiel de cet idéal humaniste, incarné dans des œuvres et dans une action...
  • KABBALE

    • Écrit par François SECRET, Gabrielle SED-RAJNA
    • 7 223 mots
    L'expression de kabbale chrétienne désigne un courant d'idées fort complexes qui, depuis le scandale des thèses De omni re scibili de Pic de La Mirandole, à la fin du Quattrocento, se développa avec des fortunes diverses à travers l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas,...

Voir aussi