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PARODIE, littérature

Fonctions, objets et moyens de la parodie

Si les conceptions des formalistes russes et des poéticiennes anglo-saxonnes que nous avons examinées pouvaient apparaître trop englobantes, on peut regretter au contraire que la définition de Genette soit, quant à elle, trop restrictive. La nécessité d'un régime purement ludique de la transformation tend à limiter la parodie au sens strict à ces activités « transformationnelles » abondamment pratiquées par l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) et qui consistaient à réécrire des textes en supprimant une lettre de l'alphabet (voir les lipogrammes en « e » de poèmes de Mallarmé, Hugo, etc., créés par Perec dans La Disparition) ou en remplaçant certains mots par des antonymes, ou en multipliant ce genre de contraintes comme l'a fait Régine Détambel avec « La Marseillaise » dans Les Écarts majeurs (1993). Mais en réalité – et Genette est tout à fait conscient de la perméabilité de ses « régimes » –, une parodie peut avoir plusieurs fonctions, et il serait injuste d'en privilégier une en particulier. Aussi avons-nous proposé une définition qui élargit celle de Genette et qui fait de la parodie « la transformation ludique, comique ou satirique d'un texte singulier » (La Parodie, 1994).

En effet, à considérer un texte comme Chapelain décoiffé, parangon de parodie pour Genette, force est de constater que l'intention ludique s'accompagne d'une intention, ou du moins d'un effet, comique (comment ne pas rire de la perruque arrachée remplaçant le soufflet du Cid ?) et que la satire, si elle vise les mauvais poètes, donc une cible extérieure au texte de Corneille, ne laisse pas ce dernier tout à fait indemne (la trivialisation du dilemme n'est-elle pas aussi une façon de se moquer de ce grand ressort du tragique cornélien ?). Dans ses Odes funambulesques (1857), Théodore de Banville revendique en tout cas les deux régimes pour ses parodies, le fil du funambule et le « masque railleur », mais aussi le « point de vue polémique » du satiriste. Certes, cette satire a elle aussi une visée extérieure (le champ littéraire de son époque), et la parodie (de poèmes des Orientales en l'occurrence) paraît donc au service de la satire, ce qui est souvent le cas, comme l'a rappelé Linda Hutcheon. Mais il arrive également que la satire soit une composante de la parodie : ainsi le théâtre parodique qui se développe sur les scènes de la Foire et des Italiens au xviiie siècle et dont Lesage est, par exemple, un bon représentant (Arlequin Thétis, Parodie de l'opéra de Télémaque, Les Amours de Protée, etc.) stigmatise par la dérision les invraisemblances, l'emphase, les stéréotypes des pièces qui sont jouées sur les scènes des théâtres officiels. La satire étant bien ici textuelle.

Néanmoins, comme le pastiche et la transformation sérieuse, la parodie témoigne la plupart du temps d'un hommage à son modèle. Georges Fourest intitulait significativement « Carnaval de chefs-d'œuvre » ses parodies de Phèdre, Iphigénie, etc. (La Négresse blonde, 1909). Banville précisait dans la Préface de 1857 de ses Odes que « la parodie a toujours été un hommage rendu à la popularité et au génie », et Hugo, qu'il parodiait, avait déjà affirmé lui-même qu'« à côté de toute grande œuvre il y a une parodie ». Si la parodie contrefait ou prend le contre-pied de son hypotexte, il serait en effet simpliste de croire que c'est par haine ou par rejet. Le simple fait de prendre un texte pour cible équivaut déjà en soi à une reconnaissance. Mais le parodiste va bien au-delà : sa réécriture est souvent la preuve indirecte d'une admiration qui ne veut pas avouer son nom. Parodier, c'est une manière de s'identifier à un texte admiré tout en sauvegardant sa propre différence, c'est emboîter le pas à un auteur sans le suivre servilement[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Grenoble-III-Stendhal

Classification

Pour citer cet article

Daniel SANGSUE. PARODIE, littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

<em>Le Masque des orateurs</em>, Jean de Soudier de Richesource. - crédits : BnF, X-18739

Le Masque des orateurs, Jean de Soudier de Richesource.

<it>Don Quichotte de la Manche</it> - crédits :  Bridgeman Images

Don Quichotte de la Manche

Vie et opinion de Tristram Shandy - crédits : Print Collector/ Getty Images

Vie et opinion de Tristram Shandy

Autres références

  • PARODIE, art et littérature

    • Écrit par
    • 1 229 mots

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    ...entreprise, la concurrence est acharnée : il faut plaire avant tout. On change très souvent de spectacle ; on en joue plusieurs par jour ; on pille les sujets, les titres, les personnages à succès. Laparodie – très prisée – permet d'exploiter, en les ridiculisant, les réussites des autres.
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