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ORTHOGRAPHE

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L'orthographe est définie, en général, comme la manière correcte d'écrire les mots d'une langue, à une époque donnée. Elle correspond aussi aux manières plus ou moins personnelles d'écrire, en contraste avec la norme : ainsi en va-t-il en particulier pour les variétés de français et les variétés d'auteurs. L'orthographe, enfin, s'inscrit dans un cadre socioculturel prégnant qui a pu créer un amalgame idéologique entre graphie, langue et nation, faisant d'elle un mythe intouchable.

L'orthographe du français

Approche d'une définition

Le terme orthographe, en latin orthographia (composé des éléments d'origine grecque orthos « correct » et graphia « graphie »), a le sens propre « d'écriture correcte » et implique de par sa composition la notion de norme. L'orthographe est la manière d'écrire les sons et les mots d'une langue en conformité avec le système de transcription graphique, adopté à une époque donnée, et en conformité avec les rapports établis avec les autres sous-systèmes de la langue : la morphologie, la syntaxe, le lexique.

Le système de transcription graphique, adopté à une époque donnée

Le très ancien français a adopté dès les premiers textes écrits (viiie-ixe siècle) le système alphabétique latin, en l'adaptant pour la notation des sons nouveaux du français. Les diphtongues du très ancien français ont été notées par la combinaison des signes-voyelles du latin, qui sont demeurés inchangés dans l'écrit, bien que leur prononciation eût évolué. Ainsi, dans laSéquence de sainte Eulalie(ixe siècle), a + i note la diphtongue ai, prononcée /Aj/ dans faire « faire » ; la prononciation a évolué à /E/ depuis le xiie-xiiie siècle, mais la notation par le digramme ai est restée inchangée.

Les rapports établis avec les autres sous-systèmes de la langue

L'orthographe est un « plurisystème ». Les graphèmes utilisés pour la notation des sons qui composent un mot ou un syntagme sont appelés phonogrammes ; d'autres graphèmes prennent en compte plus particulièrement les marques grammaticales ou lexicales, et sont appelés morphèmes grammaticaux ou lexicaux ; d'autres, enfin, notent des aspects étymologiques et historiques qui permettent, par exemple, d'établir une distinction entre des formes homonymiques, et sont appelés logogrammes, ou notation de la figure du mot. Tout graphème est ainsi censé trouver sa justification par rapport à l'un ou l'autre secteur des sous-systèmes de la langue.

Le principe d'écriture phonogrammique (rapport phonème-graphème)

Ce principe note une correspondance privilégiée entre phonème et graphème qui facilite la lecture et la mise en écriture ; cette correspondance va du phonème ou unité de son à une certaine unité de signe. Ainsi le phonème /O/, généralement noté par le graphème o en français (env. 75 p. 100 des cas), peut être noté par le digramme au (21 p. 100) ou par le trigramme eau (3 p. 100), tous liés à l'histoire de la langue et de l'orthographe. Il n'existe aucun système graphique fondé sur une stricte correspondance biunivoque entre son et signe. Il s'agit dans ce cas de système de transcription phonétique, mais non plus d'orthographe. La prononciation des mots dans les dictionnaires est donnée en transcription phonétique (alphabet phonétique international, A.P.I.).

Le principe d'écriture morphogrammique

Tandis que certains graphèmes correspondent à la notation de phonèmes, d'autres correspondent plus précisément à la notation de marques grammaticales (morphogrammes grammaticaux) qui assurent la cohésion du syntagme : il s'agit de marques de genre, de nombre, de flexions verbales (personne/temps/mode), de notation de suffixes ou de préfixes. Les morphogrammes lexicaux correspondent à la notation de marques dérivatives, notant les rapports entre le mot de base et ses dérivés. L'ensemble de ces graphèmes constitue une sorte de grammaire écrite du français.

Le principe d'écriture idéovisuel ou logogrammique

Le logogramme correspond à la notation de la figure du mot. Ce principe d'écriture a pour fonction essentielle la distinction graphique des mots homophones et homonymes, en vue d'opérer la distinction du sens. Ce procédé peut être assuré par l'accent grave, à/a, qui distingue la préposition à du verbe avoir (il a) ; par x étymologique, signe logogrammique, qui distingue voix (lat. vox, vocis) de voie (lat. via) ; par g étymologique : (le) doigt (lat. digitu) y est distingué du verbe (il) doit (lat. debet) ; par des lettres historiques liées à l'évolution phonique : haire, nom féminin signifiant « vêtement grossier de poil » (francique harja), y est distingué de hère, nom masculin signifiant « homme misérable » (peut-être par emprunt à l'allemand Herr, « seigneur », par dérision), air, nom masculin, (lat. aer), aire, nom féminin, (lat. area), (il) erre, et ers, nom masculin, « lentille bâtarde », mot provençal (lat. ervus).

Le graphème, une unité à fonctions multiples

Le graphème est une unité du système graphique composée d'une lettre ou d'un groupe de lettres (digramme vocalique ai, an, ou consonantique, ss ; ou trigramme, eau). Il peut avoir différentes fonctions selon sa position et son entourage graphémique. Sa fonction première est la notation d'un phonème, voire de différents phonèmes, à laquelle il faut ajouter diverses fonctions morphogrammiques et sémantiques. Le graphème consonantique s note différentes valeurs phoniques, selon sa position. Par exemple, s note /s/ sourd à l'initiale et à l'intérieur devant consonne : savoir, reste. Au milieu du mot, entre deux voyelles, le s correspond à la notation de la fricative sonore /z/ : rosace, rose /roz/ ; le digramme ss, double dans cette position, note /s/ sourd, ainsi dessus, poisson (différencié de poison). À la limite préfixe-radical, cependant, lorsque la composition est sentie, s simple note /s/sourd, sur le type entresol, parasol, antiseptique. En finale, par contre, s peut correspondre à un morphogramme grammatical, muet, notant la marque du pluriel de substantifs ou d'adjectifs : les cafés (s peut être prononcé en liaison). Dans le système verbal, s final est un morphogramme grammatical muet, caractéristique de la deuxième personne du singulier : tu marches, tu marchais, tu marcheras.

Les règles de position et de syllabation

La notation de certains graphèmes consonantiques en français est liée à leur position dans le mot (initiale, milieu, finale) et à la nature du phonème vocalique qui suit.

Règles de position

Notation de g selon sa valeur phonémique :

a) g prononcé /ʒ/

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g + e, i correspond à /ʒ/, ainsi gémir, girouette

ge + a, o correspond à /ʒ/, ainsi bouger, il bougea, nous bougeons (avec insertion de e diacritique).

b) g prononcé /g/

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g + a,o,u correspond à /g/, ainsi galop, gourde

gu + e,i, correspond à /g/, ainsi orgueil (avec insertion de u diacritique).

Notation de c selon sa valeur phonémique :

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a) c prononcé /s/

c + e,i correspond à /s/, ainsi ceci

ce + a correspond à /s/, ainsi douceâtre, ou douçâtre dans la graphie rectifiée (6 déc. 1990).

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b) c prononcé /k/

c + a,o,u correspond à /k/, ainsi cacao

cu + e,i correspond à /k/, ainsi cueillir (avec insertion de u diacritique)

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Notation des voyelles nasales an, en /ã/ ; in /ẽ/, on /õ/, un /œ̃/ :

a) Elles sont nasales en finale absolue, et devant consonne muette ou prononcée : /ã/ dans ban, banc, banque.

b) Devant une voyelle prononcée (ou devant e caduc), le digramme nasal devient oral : fin /ẽ)/ ; mais fine /i/, finesse ; brun /œ̃)/, mais brune /y/, brunissage.

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c) Règle d'assimilation graphique latine : n est noté m devant m, p, b, type imparfait, semblable, composition. Cette règle graphique d'assimilation latine, recommandée par Alcuin au viiie siècle pour la restauration d'une langue écrite latine surnormée (par exemple, in mutabilis devait être écrit immutabilis, « immuable », in pius remplacé par impius « impie »), a été appliquée et généralisée au français, par le double souci d'une écriture étymologique et de l'observance de la tradition.

d) Le digramme positionnel en

é, i, y  + en donne /ẽ)/, lycéen, rien, moyen

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en + t donne /ã)/, client, clientèle, argent.

Règles générales de syllabation et place des accents aigu ou grave

a) Syllabe phonique fermée : pas d'accent, sur le type mer

Une syllabe phonique est dite fermée lorsqu'elle est terminée par une consonne prononcée : par exemple, cher, (la) mer, lec-ture, etc. Dans cette position la voyelle E tend à s'ouvrir : /ɛ/, et n'est pas notée par un accent.

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b) Syllabe phonique ouverte : e noté d'un accent, sur le type thé

Une syllabe phonique est dite ouverte lorsqu'elle est terminée par une voyelle. Dans cette position le E tend à se fermer et est noté par un accent aigu, par exemple, thé, ca-fé, é-lé-phant.

c) Changement de la nature de la syllabe et changement d'accentuation de la voyelle : événement, évèn(e)ment en orthographe rectifiée.

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L'emploi de l'accent aigu sur le é de la deuxième syllabe (ouverte, avec une voyelle fermée) dans la graphie traditionnelle événement s'expliquait par la prononciation de e caduc dans la troisième syllabe /evenəmã)/. Avec l'amuïssement de e caduc dans la prononciation courante actuelle /evɛnəmã/, la deuxième syllabe s'est fermée, avec ouverture de la voyelle, notée par un accent grave (Le Dictionnaire de l'Académie donne en 1694-1718 evenement, en 1740-1935 événement, en 1992 évènement ou événement).

d) Syllabe graphique fermée

Une syllabe graphique est dite fermée lorsqu'elle est terminée par une consonne. Les syllabes dès, près, la syllabe finale de a-près, ex-près, sont des syllabes graphiques fermées par une consonne muette s, qui présentent un e ouvert noté par l'accent grave.

Méthode d'analyse d'un système graphique d'auteur

Après s'être assuré de l'authenticité d'un document et/ou de la conformité d'une édition avec le souci orthographique d'un auteur, il convient de faire apparaitre (orthographe rectifiée, Acad. franç.), selon une méthode d'analyse distributionnelle (segmentation en unités graphémiques et mise en correspondance systématique avec les phonèmes vocaliques et consonantiques), le matériel ou inventaire de graphèmes utilisé par l'auteur pour la notation du système phonémique.

Il s'agit ensuite d'analyser les graphèmes en fonction des différents secteurs ou sous-systèmes de la langue, les éventuels écarts concernant la notation de la prononciation, de la morphologie, du lexique, de la syntaxe pouvant constituer les caractéristiques du système graphique d'un auteur. L'analyse des variantes graphiques selon leur fréquence permet de déterminer s'il s'agit de graphies individuelles, continues, liées à un idiolecte, ou de graphies occasionnelles et isolées.

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Écrit par

  • : ingénieur de recherche au C.N.R.S., directrice de recherche à l'université de Paris-III-Sorbonne, docteur d'État en linguistique
  • : ingénieur C.N.R.S., linguiste

Classification

Média

Rectifications de l'orthographe, « Journal officiel », 6 déc. 1990 - crédits : Encyclopædia Universalis France

Rectifications de l'orthographe, « Journal officiel », 6 déc. 1990

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