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NÉANT

Une certaine idée négative du néant

On voit combien le rapprochement (pourtant souvent fait) avec l'analyse platonicienne du Sophiste doit être limité. Il s'agissait pour Platon de définir le sophiste comme celui qui fait être ce qui n'est pas. Contre l'aphorisme de Parménide, il faut donc affirmer la possibilité du faux dans le discours et dans les choses et montrer que, d'une certaine manière, le non-être est et l'être n'est pas. Or la difficulté se résout par le recours à l' altérité : chaque chose diffère de tout ce qu'elle n'est pas, et elle est en quelque sorte entourée d'une quantité infinie de non-être. « Quand nous énonçons le non-être, ce n'est pas là, ce semble, énoncer quelque chose de contraire à l'être, mais seulement quelque chose d'autre. » Outre qu'altérité n'est pas substitution, il suffira de rappeler que Bergson refusait tout autant le néant relatif que le néant absolu. En outre, quelle que soit l'interprétation donnée à ce dialogue difficile, il est certain que Platon ne réduit pas le non-être au seul usage de la négation et qu'il en fait une authentique idée puisque « le non-être s'est révélé participer à l'être ».

Descartes n'hésitera pas à parler d'une « certaine idée négative du néant » dans la quatrième méditation et à la définir comme « ce qui est infiniment éloigné de toute sorte de perfection ». Or cette perfection est celle de l'être infini, sans restriction, que l'on ne saurait nier. Descartes s'attachera à montrer que cette idée d'être infini n'est pas construite, qu'elle ne résulte pas d'une progression, mais qu'elle est l'idée réelle, positive du souverain être. L'idée de néant est donc impliquée dans l'opposition du fini et de l'infini, du sujet humain créé et du sujet divin créateur, ce qui donne un sens à une expression aussi étrange que « je suis comme un milieu entre Dieu et le néant ». Mais, quelle que soit la résonance platonicienne d'une formule comme « je me considère comme participant en quelque façon du néant », elle se ramène à ceci : « je ne suis pas moi-même le souverain être ».

Or le moi cartésien s'éprouve et se prouve dans une négativité extrême : « Je me considère moi-même comme n'ayant point d'yeux, point de chair, point de sang » (fin de la première méditation), et cette pensée à laquelle il reste « obstinément attaché » n'est pas seulement une hypothèse intellectuelle : « comme si tout à coup j'étais tombé dans une eau très profonde, je suis tellement surpris que je ne puis assurer mes pieds sur le fond ni nager pour me soutenir au-dessus ». Ce qui se manifeste ainsi dans ce qu'il faut bien appeler l'angoisse, c'est la liberté du sujet capable de tout nier, même l'évidence. Sans doute pour Descartes ne s'agit-il que d'un moment, mais indispensable à la double certitude métaphysique de l'existence du moi fini et de l'être infini.

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire de philosophie, université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Jean LEFRANC. NÉANT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

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