MODE, sociologie
Le français, et diverses autres langues avec lui, désigne par le terme de mode à la fois les canons périodiquement changeants de l'élégance vestimentaire et, plus généralement, les phénomènes d'engouement qui règnent sur le vêtement, mais également sur tout ce qui touche aux « apparences » (la parure, la décoration, les manières, l'intonation, etc.) en tant qu'elles sont dotées d'un pouvoir d'expression. La langue anglaise distingue au contraire fashion, la mode semi-institutionnalisée, socialement approuvée, dont le type est la mode vestimentaire, et fad, l'engouement futile et quelque peu subversif, lui-même distingué de l'engouement en général (craze). Il est remarquable de constater que le terme de mode semble manquer à certains auteurs anglo-saxons, qui parlent de « fad and fashion », tandis qu'au contraire certains auteurs français s'appuient sur la langue anglaise pour distinguer la mode au sens de fashion et la mode au sens de fad.
Depuis le xve siècle, la mode alimente un flot continu de discussions morales, sociales, esthétiques, philosophiques, qui s'amplifie au xixe et au début du xxe siècle. Des écrivains (Carlyle, Baudelaire, Mallarmé, Oscar Wilde, Proust), des sociologues et des anthropologues (Spencer, Sumner, Tarde, Veblen, Goblot, Simmel, Sapir) la prennent alors pour thème de réflexion, voyant en elle soit une modalité transitoire du style, une création futile mais attachante, soit une pourvoyeuse de nouveauté, gaspilleuse d'énergie, mais capable d'ébranler la tradition et les mœurs, pour le meilleur et pour le pire, soit, surtout, un témoignage privilégié du comportement de l'homme en société et en particulier de la soumission de l'individu aux normes collectives.
L'apport récent des sciences humaines reste largement tributaire de ces réflexions. Il les a toutefois renouvelées, sous l'influence de divers facteurs, parmi lesquels on peut citer : la mise en œuvre d'études empiriques relevant de la psychologie sociale, certains progrès dans la description et dans la formalisation sociologiques, l'application de la psychanalyse au vêtement, le développement de diverses approches relevant de la théorie de la culture. Cet apport peut s'articuler en trois directions fondamentales, selon qu'est mis en lumière l'arrière-plan anthropologique de la mode, ses fonctions sociales ou sa place parmi les faits de culture.
Arrière-plan anthropologique de la mode
Peut-être faut-il rechercher l'origine de la mode au-delà même de toute vie sociale. En tout état de cause, la psychobiologie du comportement paraît en mesure d'éclairer aussi bien le comportement qui consiste à suivre la mode que le choix des objets sur lesquels il s'investit. Ainsi, en l'absence de toute régulation sociale, on observe chez les singes anthropoïdes, comme d'ailleurs chez les très jeunes enfants, des jeux ritualisés obéissant à de brusques mutations. On peut d'autre part référer les objets de la mode à un certain nombre de traits isolables dont la présence sur le corps ou dans le comportement d'individus d'une espèce agit comme « stimuli déclencheurs » du comportement d'autres individus de la même espèce. Le maquillage, le vêtement, la parure, l'intonation, le port, bref ce sur quoi s'investit d'abord la mode paraît constituer pour l'homme une addition de semblables stimuli ; dans cette perspective, la mode serait un « simulacre parfait » (K. Lorenz). Une telle interprétation s'accorde au fond avec la tradition selon laquelle la première fonction du vêtement est d'ordre expressif ; la mode est peut-être un « gaspillage ostentatoire » (T. Veblen), mais ce gaspillage n'est pas sans fondement anthropologique. De même la psychologie sociale[...]
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Écrit par
- Philippe BESNARD : directeur de recherche au C.N.R.S.
- Olivier BURGELIN : maître assistant à l'École des hautes études en sciences sociales
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Pour citer cet article
Philippe BESNARD, Olivier BURGELIN, « MODE, sociologie », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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