Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MODALITÉS, logique

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Nécessité, contingence et plénitude

L'histoire des conceptions philosophiques de la modalité est étroitement liée à celle des doctrines qui soutiennent la nécessité de ce qui est et de nos actions, dans leur opposition aux doctrines qui admettent qu'il y a, dans la nature ou en nous, une forme de contingence, c'est-à-dire au conflit philosophique traditionnel entre déterminisme et libre arbitre. On peut en retracer l'origine chez les Anciens à partir de l' aporie célèbre du mégarique Diodore Cronos, ou argument du Dominateur, qui est à l'origine des débats rapportés par le De fato de Cicéron. Cet argument, tel que le rapporte Épictète, consiste dans trois prémisses, mutuellement incompatibles :

(A) toute proposition vraie concernant le passé est nécessaire ;

(B) l'impossible ne suit pas logiquement du possible ;

(C) est possible ce qui n'est pas actuellement vrai et ne le sera pas.

On peut montrer (Vuillemin, 1984) comment le rejet de l'une ou l'autre des prémisses du Dominateur se rapporte, chez les Anciens, à l'affirmation d'une forme de nécessitarisme ou à une forme de doctrine de la contingence et correspond, dans chaque système doctrinal, à une conception spécifique des concepts modaux.

Diodore lui-même nie (C) et soutient que tous les possibles se réaliseront, ce qui revient à une forme de fatalisme logique, perçue comme une négation du libre arbitre. Les stoïciens rejettent tantôt (A), pour Cléanthe, au nom de la doctrine de l'éternel retour (le passé n'est pas irrévocable car il peut revenir), tantôt (B) avec Chrysippe, mais au prix d'une redéfinition de la notion d'impossibilité, entendue non pas au sens de ce qui n'arrive nécessairement pas, mais au sens de ce qui ne peut pas arriver selon les circonstances extérieures dues au destin (il n'y a de nécessité que du destin, et de liberté que conformément au destin). Aristote, au contraire, accorde un statut positif à la contingence. Dans le célèbre paragraphe 9 du De Interpretatione, il analyse le problème de la contingence des énoncés au futur (« Il y aura une bataille navale demain »), que le fatalisme de Diodore (qui était lui-même dirigé contre la notion aristotélicienne de possible) tenait comme nécessaires. La solution d'Aristote consiste à distinguer la nécessité absolue (« tout ce qui est doit nécessairement exister ») de la nécessité conditionnelle, relative à l'événement (« que ce qui est soit, quand il est, et ne soit pas quand il n'est pas »). Les énoncés au futur n'ont qu'une nécessité conditionnelle, et c'est en ce sens qu'ils n'ont pas de valeur de vérité déterminée (le principe de bivalence cesse de valoir pour eux). La contingence ontologique est le fait des êtres en puissance, la nécessité absolue ne s'appliquant qu'aux êtres en acte. Une autre modalité que le nécessaire et le possible exprimerait mieux la conception aristotélicienne : celle du probable, qui s'applique aux événements du monde sublunaire, contingents et soumis à l'opinion. Épicure, quant à lui, n'affirme la contingence qu'au prix du rejet du principe du tiers exclu. Les énoncés en général, et les énoncés modaux en particulier, ne sont ni vrais ni faux, parce qu'aucune vérité ou fausseté n'existe en dehors des procédures de confirmation autorisées par la canonique des critères. Il est en ce sens l'ancêtre de la position conceptualiste des modalités (Kant, 1967 ; Vuillemin, 1984). Carnéade et les sceptiques sont plutôt les précurseurs de la conception nominaliste (représentée, chez les Modernes, par Quine) selon laquelle nécessité et possibilité sont des faits de langage, relatifs aux manières dont on asserte des propositions (Vuillemin, 1984).

On peut envisager l'histoire des[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

Classification

Pour citer cet article

Pascal ENGEL. MODALITÉS, logique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Carré des modalités - crédits : Encyclopædia Universalis France

Carré des modalités

Autres références

  • CROYANCE

    • Écrit par
    • 11 987 mots
    ...au paraître et à l'être leurs contraires et de projeter sur le carré sémiotique les valeurs polaires de l'être et du paraître pour obtenir les quatre modalités véridictoires de base : la vérité, par conjonction de l'être et du paraître ; la fausseté, par celle du non-paraître et du non-être ; le mensonge,...
  • EMPIRISME

    • Écrit par
    • 13 324 mots
    • 1 média
    ...fournisseurs de l'empirisme newtonien, ce qui, du même coup, reléguait dans l'univers éthéré des purs possibles les vérités de raison chères à Leibniz. Le prix à payer pour ce coup de maître fut très élevé ; il a obligé Kant à raisonner continuellement sur les modalités (le possible, le nécessaire, le...
  • NÉCESSITÉ

    • Écrit par
    • 1 130 mots

    L'usage courant rapproche la nécessité de l'idée de destin, c'est-à-dire de l'advenue d'un événement inévitable. Est « nécessaire », en effet, ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est. Dans le Timée, Platon (428-347...

  • PRAGMATIQUE

    • Écrit par
    • 6 552 mots
    ...pragmatique traite de problèmes tout à fait généraux, tels que l'articulation des conditions de succès et des conditions de vérité ; le rapport entre les modalités d'énoncé (les attitudes propositionnelles, le possible et le nécessaire) et les modalités d'énonciation (les forces illocutoires) ; les rapports...