Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

MODALITÉS, logique

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Le statut philosophique des concepts modaux

Les difficultés qu'on rencontre pour représenter dans un formalisme cohérent les diverses notions modales expliquent que les logiciens les aient rejetées aux frontières de la logique classique du vrai et du faux, et que, quand ils les ont prises en compte, ils se soient heurtés au fait qu'elles semblent indissociables de leurs contenus particuliers. Il y a en effet une ambiguïté fondamentale dans les termes modaux « possible » et « nécessaire », qui peuvent être employés tantôt pour désigner des propriétés de nos assertions ou de la connaissance que nous avons des choses, tantôt pour désigner des propriétés des choses elles-mêmes. Ainsi, la notion de possibilité peut être entendue, au sens épistémique, comme désignant ce qui est possible relativement à notre connaissance, ou relativement à ce que nous croyons être possible, ou bien au sens de la possibilité réelle, comme désignant un état possible du monde. De même, « nécessaire » peut qualifier nos assertions, ou la nature de ce sur quoi portent nos assertions. Cette distinction recoupe la distinction de dicto/de re.

On distingue pareillement la possibilité logique, au sens de ce qui n'enveloppe pas de contradiction, de la possibilité physique ou naturelle, au sens de ce qui est compatible avec les lois de la nature empirique. En principe, le logicien devrait se contenter d'enregistrer ces distinctions, sans avoir à les élucider dans leur profondeur propre, cette dernière tâche revenant au philosophe. Mais le fait qu'elles affectent l'intelligibilité même de son formalisme montre que leur analyse philosophique est inséparable de ce formalisme. La question philosophique fondamentale qui sous-tend les interprétations des concepts modaux est donc celle de leur justification : les propositions modales sont-elles vraies ou fausses et, si elles le sont, le sont-elles en vertu de traits de la réalité ou sont-elles seulement relatives à notre connaissance ou à nos assertions sur le monde ?

On peut appeler réalisme modal la thèse philosophique selon laquelle les concepts modaux correspondent à des réalités objectives, et anti-réalisme ou conceptualisme modal, la thèse selon laquelle ces concepts n'ont de sens que relativement au connaître. La philosophie d' Aristote est un réalisme modal par excellence : pour le Stagirite, les propositions modales sont vraies ou fausses parce qu'il y a du possible, et il y a du possible parce que certains êtres ou propriétés ne sont qu'en puissance, et pas en acte ; et il y a du nécessaire parce que les substances ont certains attributs nécessaires ou essentiels, alors que d'autres sont accidentels. Bien qu'Aristote distingue, comme on l'a vu, le possible logique du possible ontologique, c'est celui-ci qui justifie en dernier ressort une logique modale, c'est-à-dire une théorie capable d'exprimer dans le discours les propriétés et les relations modales des êtres.

Par opposition, l' empirisme philosophique est par excellence un conceptualisme modal, parce qu'il nie la réalité du possible et du nécessaire, qui ne sont que des concepts de notre esprit, ou des manières dont nous affirmons les choses dans le langage (dans ce dernier cas, le conceptualisme se rattache à un nominalisme). Il faut cependant distinguer au moins deux formes de conceptualisme modal. La première, celle de Hume, réduit totalement les notions modales à des idées dans notre esprit, que nous projetons sur les choses à partir de nos dispositions psychologiques. En ce sens, les propositions modales ne sont ni vraies ni fausses : elles ne font qu'exprimer des états subjectifs et n'assertent rien sur le monde. C'est ce que cherche à établir la célèbre critique humienne de la notion de nécessité causale ou physique : seules la répétition et l'association dans l'esprit de nos[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

Classification

Pour citer cet article

Pascal ENGEL. MODALITÉS, logique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Carré des modalités - crédits : Encyclopædia Universalis France

Carré des modalités

Autres références

  • CROYANCE

    • Écrit par
    • 11 987 mots
    ...au paraître et à l'être leurs contraires et de projeter sur le carré sémiotique les valeurs polaires de l'être et du paraître pour obtenir les quatre modalités véridictoires de base : la vérité, par conjonction de l'être et du paraître ; la fausseté, par celle du non-paraître et du non-être ; le mensonge,...
  • EMPIRISME

    • Écrit par
    • 13 324 mots
    • 1 média
    ...fournisseurs de l'empirisme newtonien, ce qui, du même coup, reléguait dans l'univers éthéré des purs possibles les vérités de raison chères à Leibniz. Le prix à payer pour ce coup de maître fut très élevé ; il a obligé Kant à raisonner continuellement sur les modalités (le possible, le nécessaire, le...
  • NÉCESSITÉ

    • Écrit par
    • 1 130 mots

    L'usage courant rapproche la nécessité de l'idée de destin, c'est-à-dire de l'advenue d'un événement inévitable. Est « nécessaire », en effet, ce qui ne peut pas ne pas être ou ce qui ne peut pas être autrement qu'il n'est. Dans le Timée, Platon (428-347...

  • PRAGMATIQUE

    • Écrit par
    • 6 552 mots
    ...pragmatique traite de problèmes tout à fait généraux, tels que l'articulation des conditions de succès et des conditions de vérité ; le rapport entre les modalités d'énoncé (les attitudes propositionnelles, le possible et le nécessaire) et les modalités d'énonciation (les forces illocutoires) ; les rapports...