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ANTONIONI MICHELANGELO (1912-2007)

Le vertige dans l'image

Aucun des films d'Antonioni n'a, jusqu'alors, connu de succès commercial, et il a dû, pour vivre, effectuer des travaux non signés, dirigeant par exemple la seconde équipe de nombreux péplums.

Monica Vitti - crédits : 20th Century-Fox Productions/ The Ronald Grant Archive/ Photononstop

Monica Vitti

Après avoir rencontré Monica Vitti, il parvient néanmoins en 1959, malgré mille difficultés, à réaliser L'Avventura qui fera sensation au festival de Cannes cette année-là. Avec La Notte (1960), L'Eclisse (1962) et Il Desertorosso (1964), il va faire tourner Monica Vitti dans quatre œuvres qui lui vaudront une notoriété internationale. Ces quatre films se caractérisent par un changement de style : Antonioni renonce au plan-séquence et n'hésite plus à recourir fréquemment aux gros plans et aux contrechamps ; le thème aussi est le même dans ces quatre œuvres : l'incommunicabilité et le désarroi de l'homme qui découvre que ses règles morales sont dépassées par l'évolution du monde. Les critiques cessent de citer perpétuellement Pavese (ce qui agaçait Antonioni) et, plus justement, évoquent Fitzgerald, Adorno ou Musil. Les films ont un souffle plus ample, le récit s'étend plus volontiers dans des digressions plastiques comme la séquence baroque sur la ville de Noto, en Sicile, dans L'Avventura, le finale de L'Éclipse, qui ne montre que des objets ou des lieux déserts (la référence picturale est ici Giorgio De Chirico), ou les paysages désolés de la zone industrielle de Ravenne dans Le Désert rouge.

Antonioni accède au rang de grand cinéaste international tandis que Monica Vitti entame, de son côté, une carrière de star comique. Avec Blow-up, policier psychologique anglais (1966), Zabriskie Point, essai romancé sur la « rage de vivre » d'un jeune Américain (1970), Chung Kuo (1972 ; La Chine, reportage qui connaîtra quelques mécomptes en raison des vicissitudes de la « révolution culturelle » maoïste) et Profession reporter (1975), attachant portrait d'un « perdant » incarné par Jack Nicholson, Antonioni nous donne alors des films séduisants et personnels, où l'on retrouve de discrets rappels des thèmes des premières œuvres, mais qui ne jouent plus le rôle de catalyseur de la culture européenne.

À noter toutefois qu'avec Il Mistero di Oberwald (1980), tiré de L'Aigle à deux têtes, de Cocteau, il est parmi les premiers à réaliser un film de fiction, de long-métrage, en vidéo. Ensuite, pour l'exploitation en salle, l'image électronique sera « recopiée » sur pellicule. Le résultat est plus curieux que convaincant. Avec Identificazione di una donna (1982) , il revient au style classique, avec une belle histoire d'amour. C'est alors qu'il rencontre celle qui sera sa dernière compagne, Enrica.

En 1985, un accident cérébral grave contraint Antonioni à l'inaction, jusqu'à ce qu'il puisse, malgré sa condition physique, revenir à la mise en scène, avec l'aide de Wim Wenders pour Par-delà les nuages (1995), puis, en 1994, pour Eros (2004, les autres épisodes étant signés Wong Kar-wai et Steven Soderbergh). Que dire de ces derniers films ? Antonioni semble reproduire ici les dernières années de Luchino Visconti, avec cet acharnement à travailler, infiniment respectable, et qui prolongea sans doute son existence ; une vision exhaustive de son œuvre ne pourra les supprimer, mais ils ne sont nullement indispensables à sa grandeur créatrice – alors que ses courts-métrages initiaux, moins connus, le sont.

Sa dernière apparition publique peut être datée de l'automne 2006, lorsqu'il assiste à l'exposition de ses tableaux en plein centre de Rome. Le palazzo ancien qui abrite cette exposition, près du Panthéon, aujourd'hui utilisé comme musée, fut naguère affecté à la Bourse de Rome, et c'est là qu'Antonioni tourna plusieurs scènes de L'Éclipse (1962).[...]

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Pour citer cet article

Paul Louis THIRARD. ANTONIONI MICHELANGELO (1912-2007) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Lucia Bosè dans <em>La Dame sans camélia</em> - crédits : Mondadori/ Getty Images

Lucia Bosè dans La Dame sans camélia

Monica Vitti - crédits : 20th Century-Fox Productions/ The Ronald Grant Archive/ Photononstop

Monica Vitti

Autres références

  • L'AVVENTURA, film de Michelangelo Antonioni

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 982 mots

    Malgré l'injustice d'une telle formule, on pourrait dire que L'Avventura est le véritable premier film d'Antonioni, en tout cas celui dont le style et le ton nous semblent toujours le mieux « coller » à l'image de ce cinéaste à l'élégance aristocratique. La production pourtant en fut...

  • L'AVVENTURA (M. Antonioni), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 315 mots
    • 1 média

    Présenté au festival de Cannes en 1960, L'Avventura de Michelangelo Antonioni (1912-2007) a déclenché une des rares « batailles d'Hernani » du cinéma. Le public, dérouté, accueillit le film avec cris et sifflets, tandis que la majorité de la critique prenait son parti. Un film dont la narration...

  • PAR-DELÀ LES NUAGES (M. Antonioni)

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 1 398 mots

    La présentation de Par-delà les nuages, à la biennale de Venise en septembre 1995, prit les allures d'un événement national. Le président de la République italienne en personne se déplaça pour assister à la projection du film, tant il y avait quelque chose de miraculeux dans ce retour, après treize...

  • BOSÈ LUCIA (1931-2020)

    • Écrit par René MARX
    • 623 mots
    • 1 média

    Issue d’une famille pauvre de fermiers de Lombardie, Lucia Bosè est née Lucia Borloni le 28 janvier 1931 à Milan. En 1946, Luchino Visconti, entrant dans la célèbre pâtisserie Galli de la via Victor Hugo à Milan, est frappé par la beauté extraordinaire d’une vendeuse anonyme. Comme celle d’Alain...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    En marge du néo-réalisme, Antonioni a commencé en 1950 une carrière d'auteur maudit. Cet ancien assistant de Carné, architecte passionné du cinéma, compose ses plans avec une nostalgie évidente de l'équilibre plastique, de l'harmonie des masses, de l'immobilité. Chaque geste, chaque ...
  • GUERRA ANTONIO, dit TONINO (1920-2012)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 692 mots
    • 1 média

    Écrivain et scénariste italien, Antonio Guerra est né à Sant'Arcangelo di Romagna le 16 mars 1920. Après avoir écrit plusieurs poèmes et romans, souvent en dialecte romagnol, il vient au cinéma en 1957 avec le scénario de Hommes et loups (Uomini e lupi), de Giuseppe De Santis, qu'il...

  • ITALIE - Le cinéma

    • Écrit par Jean A. GILI
    • 7 683 mots
    • 4 médias
    ...nouveaux. Pourtant, c'est à cette époque qu'apparaissent les deux cinéastes qui, après la génération néo-réaliste, domineront l'histoire du cinéma italien, Michelangelo Antonioni et Federico Fellini. Le premier commence à tourner en 1950 avec Cronaca di un amore (Chronique d'un amour), le second en 1951...
  • Afficher les 7 références

Voir aussi