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MÉSOPOTAMIE L'écriture cunéiforme

Le système classique

Héritier d'une histoire millénaire, le système classique est complexe et pis : incohérent. Aucune réfection, même partielle, n'y mit de l'ordre. Les signes y sont désormais régulièrement distribués horizontalement, à partir de la gauche, sans ligatures, sans espaces entre les mots, sans ponctuation, sans soulignement possible et sans alinéa. Tous sont de taille identique ; des traits distinguent, de temps en temps, les paragraphes. Les documents de grande largeur sont quelquefois partagés en colonnes, remplies de gauche à droite au recto et de droite à gauche au verso. Les indications générales (titre, date, nom du scribe, etc.) sont toujours placées en fin de texte. Dessins et schémas, de tracé malaisé et d'aspect peu attrayant, restèrent rarissimes.

S'il avait théoriquement à sa disposition cinq cent quatre-vingt-dix-huit signes, un scribe n'en employait guère couramment plus de cent cinquante. Chacun d'eux, sauf exception, est à la fois un idéogramme (aux sens multiples, souvent) et représente phonétiquement une ou plusieurs syllabes (de une à plus de dix). Ces « valeurs » sont issues de la prononciation des mots sumériens que note le signe : si la même combinaison de « coins » peut écrire /ud/ et /had/, c'est parce qu'il écrit aussi « jour » (lu ud) et « dessécher » (lu had). Aucun procédé mnémotechnique ne permet de retrouver ces « valeurs » ; il faut les mémoriser.

Les syllabes sont ouvertes, soit consonne-voyelle (ba), soit voyelle-consonne (ab) ; elles sont plus rarement fermées (bab) ; dans ce second cas, on peut toujours leur substituer une combinaison de syllabes ouvertes (ba-ab, qu'on lit (/bab/). Il existe des signes-voyelles mais aucun signe qui permettrait d'écrire une consonne isolée. Le nombre de racines homophones du sumérien étant élevé, l'application sans frein du rébus aurait conduit à d'insupportables difficultés de lecture : il existe ainsi plus de vingt idéogrammes se prononçant /du/, donc autant de manières théoriques d'écrire cette syllabe. Sagement, même si les modes ont pu changer, l'usage a normalement retenu, pour chaque époque, une graphie et une seule pour chaque son. Même ainsi, le syllabaire resta toujours à la fois foisonnant et insuffisant. Il propose, par exemple, deux signes distincts pour /ba/ et /pa/, mais un seul pour /bu/ et /pu/ ; la série /ta/, /te/, /ti/, /tu/ est complète, mais dans la série parallèle en d (/da/, /de/, /di/, /du/), /de/ et /di/ sont graphiquement confondus ; /bab/ existe, mais ni /beb/ ni /bib/ ni /bub/. Les mêmes réflexions s'appliquent aux signes dans leur emploi comme idéogrammes : le système a retenu des cunéiformes uniques pour des réalités fréquentes (« dire », « roi », « grand ») mais aussi pour des réalités peu usuelles (« souris »). En revanche, il faut une suite de deux cunéiformes pour écrire « champ » ou « vieillard », et jusqu'à cinq pour « armée ». Un procédé analogue aux « clés » de l'écriture chinoise avait été ébauché : « manger » s'écrivait par « pain » dans « bouche », « boire » par « eau » dans « bouche ». Mais cette tentative avorta et resta limitée.

Un scribe pouvait n'utiliser que des idéogrammes, comme ce fut souvent le cas pour les textes savants. Il gagnait ainsi du temps et de l'espace : un texte syllabique aurait été de plusieurs fois plus long. Il pouvait recourir cependant uniquement aux graphies syllabiques, s'il voulait s'assurer que le lecteur prononçât bien exactement, ce que ne garantissaient pas les idéogrammes. Aussi les œuvres poétiques sont-elles souvent ainsi écrites. Mais, dans la pratique, on mêlait idéogrammes pour les mots courants et syllabogrammes pour les autres, dans un rapport de un à trois environ.

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (section des sciences religieuses) Paris

Classification

Pour citer cet article

Daniel ARNAUD. MÉSOPOTAMIE - L'écriture cunéiforme [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Écriture sumérienne archaïque - crédits :  Bridgeman Images

Écriture sumérienne archaïque

Écriture cunéiforme : naissance et évolution du signe «vase» - crédits : Encyclopædia Universalis France

Écriture cunéiforme : naissance et évolution du signe «vase»

Tablette cunéiforme, royaume d'Ougarit - crédits : De Agostini

Tablette cunéiforme, royaume d'Ougarit

Autres références

  • AKKAD

    • Écrit par Gilbert LAFFORGUE
    • 2 890 mots
    • 3 médias

    Akkad (du sémitique Akkadû, forme à laquelle le scribe préférait Agadé) désigne à la fois une « ville de royauté » du IIIe millénaire avant J.-C. et la partie nord de la Babylonie. Du nom de la cité dérive le terme akkadien, qui sert à qualifier la dynastie royale d'Akkad, la population...

  • ALEXANDRE LE GRAND (356-323 av. J.-C.)

    • Écrit par Paul GOUKOWSKY
    • 6 470 mots
    • 5 médias
    ...était nombreuse et de valeur, manquaient désormais les mercenaires grecs, décimés au cours des précédentes batailles ou perdus dans de vaines aventures. Les deux armées se rencontrèrent en Haute-Mésopotamie, près du village de Gaugamèles, non loin de la ville assyrienne d'Arbèles (Erbil). C'était une vaste...
  • AMORRITES ou AMORRHÉENS

    • Écrit par Gilbert LAFFORGUE
    • 728 mots

    Amorrites, ou Amorrhéen, est un nom de peuple que les orientalistes ont tiré du mot akkadien Amourrou, par lequel les Mésopotamiens désignaient la région située à l'ouest de leur pays et aussi ses habitants.

    Comme les Amorrites n'ont pas écrit leur langue, nous ne les connaissons que par...

  • ANTHROPOLOGIE ANARCHISTE

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
    • 4 849 mots
    • 3 médias
    ...processus d’apparition de l’agriculture sédentaire à partir du IXe millénaire avant notre ère, du moins dans l’exemple qu’il a choisi, celui de la Mésopotamie. Lui-même éleveur en sus de ses fonctions universitaires, il décrit le processus de formation d’une nouvelle socialisation, la domus...
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Voir aussi