LÉVY-BRUHL LUCIEN (1857-1939)
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Philosophe et sociologue français, Lévy-Bruhl a exercé une grande influence sur l'orientation des études anthropologiques et ethnologiques en insistant sur les dangers qu'il y aurait à vouloir comprendre la vie collective des peuples sans écriture, à partir de nos propres conceptions. Il a cherché à définir ce qu'il a nommé la « mentalité primitive », en la distinguant de la mentalité civilisée. Ce dualisme l'a toutefois entraîné vers une mise en question de l'universalité de la logique, ce qui lui a valu de nombreuses critiques auxquelles il s'est montré lui-même fort sensible, en apportant finalement des corrections et des restrictions à ses premières prises de position. Il marque, en tout cas, en marge du rationalisme durkheimien, un courant de pensée attentif à des phénomènes qui échappent à l'intellectualisme.
Les étapes d'une pensée
Né à Paris, Lucien Lévy-Bruhl s'était orienté vers les études philosophiques dès son entrée à l'École normale supérieure. Il écrivit une thèse, L'Idée de responsabilité (1885), et commença une carrière universitaire brillante. À la Sorbonne, il obtint la chaire d'histoire de la philosophie moderne, sujet auquel il consacra plus tard un ouvrage (History of Modern Philosophy in France, 1899) accompagné de deux études : La Philosophie de Jacobi (1894) et La Philosophie d'Auguste Comte (1900). Puis il publia un livre de philosophie morale (La Morale et la science des mœurs, 1903) qui marque un tournant dans ses recherches. Il s'y efforce de démontrer la vanité des morales théoriques qui sont, dit-il, des métamorales, et il propose la constitution d'une science positive qui étudierait les mœurs afin d'en trouver les lois et analyserait la réalité morale sans chercher à la régenter. En conclusion, il soutenait que les règles ainsi établies devaient être non pas universelles mais relatives à un contexte sociologique donné. C'était déjà mettre en cause le postulat de l'unicité de la nature humaine.
Allant plus avant dans son relativisme sociologique et observant par ailleurs les incompréhensions entre esprits formés par des cultures différentes, Lévy-Bruhl entreprit d'étudier les variations des fonctions mentales selon les formes de la vie sociale, et il pensa que le meilleur moyen pour réaliser cette tâche de la psychologie collective était de porter d'abord l'attention sur la forme de pensée la plus éloignée de la nôtre, c'est-à-dire celle des peuples qu'on appelait alors sauvages ou primitifs. Trois livres furent consacrés à mettre en évidence la spécificité de la mentalité primitive (Les Fonctions mentales dans les sociétés inférieures, 1910 ; La Mentalité primitive, 1922 ; L'Âme primitive, 1927).
Puis trois autres volumes (Le Surnaturel et la Nature dans la mentalité primitive, 1931 ; La Mythologie primitive, 1935 ; L'Expérience mystique et les Symboles chez les primitifs, 1938) abordèrent le même sujet mais avec beaucoup plus de nuances, et en insistant davantage sur le rôle de l'affectivité dans la mentalité primitive que sur la différence entre celle-ci et la pensée logique.
Peu avant sa mort, Lucien Lévy-Bruhl en était arrivé à douter des principes essentiels de sa théorie dualiste, et l'on trouve les traces de ses scrupules à cet égard dans ses notes posthumes (Les Carnets de Lévy-Bruhl, 1949).
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Écrit par :
- Jean CAZENEUVE : membre de l'Institut, professeur émérite à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Pour citer l’article
Jean CAZENEUVE, « LÉVY-BRUHL LUCIEN - (1857-1939) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 26 janvier 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/lucien-levy-bruhl/