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STERNE LAURENCE (1713-1768)

Difficile à classer dans le cadre romanesque qui s'instaure au xviiie siècle, Laurence Sterne n'en tient pas moins une place de choix dans l'histoire du roman anglais. L'on se plaît aujourd'hui à reconnaître en lui un précurseur des formes modernes du récit qui, là comme ailleurs, ont bouleversé les perspectives et bousculé les traditions. On l'a complaisamment étiqueté « humoriste » – s'il n'était que cela, tout irait bien. Mais, sous le masque de l'humoriste qu'il est, percent, pour le lecteur contemporain, que l'on suppose savoir lire, les traits de maint personnage profondément sérieux. Prince, en effet, d'un humour qui n'est jamais noir, Sterne s'est plaisamment dédoublé dans les créatures de sa fiction, Tristram Shandy et Yorick, mais il ne cesse d'être lui-même dans son univers imaginaire, ni d'avoir la pleine maîtrise de son invention romanesque, comme du dédale intellectuel où il nous égare, tout en y conduisant allègrement sa jubilation.

Biographie

Laurence Sterne naquit à Clonmel, petite ville du sud de l'Irlande où le régiment de son père, officier subalterne, était venu tenir garnison. La famille était originaire du Yorkshire (l'arrière-grand-père de Sterne fut archevêque d'York, et l'oncle James était precantor de la cathédrale), et c'est dans ce comté que Laurence vint se fixer vingt-cinq ans plus tard.

Son père, enseigne au 34e régiment d'infanterie, avait épousé Agnès Nuttal Hébert, veuve d'un capitaine et belle-fille d'un vivandier, auquel, dit-on, il devait de l'argent. C'était au temps de la guerre de Succession d'Espagne, et l'on guerroyait dans les Flandres, sous Marlborough, ce foudre de guerre, en attendant que la paix d'Utrecht (1713) renvoyât dans ses foyers ce militaire, « petit homme vif », rêver et faire des enfants, avant d'être rappelé sous les drapeaux. Son régiment, en effet, se reforma, et l'enseigne s'en fut, de cantonnement en cantonnement, trimbalant sa famille (nombreuse) avec lui – des petits frères et sœurs naissent et meurent en chemin – jusqu'au jour où il est dépêché en Jamaïque, pour « mettre de l'ordre chez les nègres ». Il y mourut, frappé à mort par un collègue, dans un duel futile, à propos d'une oie (1731). Ainsi mourut ce Roger Bontemps des campagnes obsidionales et coloniales, dont le fils donnera, dans ses Memoirs et son Tristram Shandy, une image approximative, héroïque et attendrissante.

Élevé d'abord parmi les soldats, au son des fifres et des tambours, le gamin fut mis à l'école en Angleterre, où il apprit du grec et du latin. Un cousin généreux le fit entrer au Jesus College (1733) à Cambridge, où il bénéficia d'une des bourses que l'arrière-grand-père, archevêque, avait fondées. Sa carrière universitaire ne fut pas étincelante, mais il se fit un bon ami, l'excentrique John Hall Stevenson (1718-1785), qu'il retrouvera dans le Yorkshire, et lut avidement John Locke, Rabelais et Montaigne, qui eurent sur lui une influence décisive.

Après un bref passage (1737-1738) dans la petite cure de St. Yves (Huntingdonshire), il reçut en août 1738 celle de Sutton on the Forest, près d'York, où sans doute l'influence de l'oncle James le fit nommer. Il y restera vingt ans.

Vie et opinion de Tristram Shandy - crédits : Print Collector/ Getty Images

Vie et opinion de Tristram Shandy

Vingt ans de vie campagnarde et mondaine aussi, car le vicaire de Sutton résidait souvent à York, où l'attiraient les festivités sociales de cette capitale brillante, et les intrigues d'église qui se nouaient autour de la cathédrale. Il y fit sa première conquête, Elizabeth Lumley, qui devint sa femme, et, un peu plus tard, sa seconde, miss Fourmantelle, l'éphémère « dear Kitty », qui le promut dans la galanterie. Il y fit aussi ses premières armes d'écrivain : un méchant pamphlet, [...]

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. STERNE LAURENCE (1713-1768) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Vie et opinion de Tristram Shandy - crédits : Print Collector/ Getty Images

Vie et opinion de Tristram Shandy

Autres références

  • TRISTRAM SHANDY, Laurence Sterne - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 793 mots
    • 1 média

    C'est de 1760 à 1767 que Laurence Sterne (1713-1768) écrit les neuf volumes de Tristram Shandy, sous le titre complet de Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman. Ouvrage formidablement novateur, qui rompt l'unité romanesque du récit mise en place par les romanciers anglais du ...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...s'inspirait de Cervantès et des tableaux de William Hogarth. Tobias Smollett (1721-1771) se situe encore davantage dans la tradition picaresque, mais ce sont surtout Laurence Sterne et Jane Austen qui représentèrent les pôles entre lesquels oscille la littérature anglaise : le bizarre et le positif.
  • BAUDELAIRE CHARLES (1821-1867)

    • Écrit par Pierre BRUNEL
    • 6 903 mots
    • 2 médias
    ...Arsène Houssaye pour Le Spleen de Pariset, plus encore, au canevas de cette dédicace. Elle commence là où finit le Tristram Shandy (1760-1767) de Laurence Sterne, que Baudelaire connaissait : « Sans queue ni tête. Tout queue et tête. » Ces notations liminaires livrées à l'état brut renvoient vraisemblablement...
  • JACQUES LE FATALISTE ET SON MAÎTRE, Denis Diderot - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Christophe ABRAMOVICI
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    ...exprime, dans la bouche de Jacques, sa croyance dans le déterminisme : s'il n'avait été blessé au genou, il n'aurait été ni soigné, ni amoureux, ni boiteux. À un second niveau, l'image est un écho ironique de la dette qu'a ici Diderot à l'égard du romancier anglais Sterne, dont il plagie ouvertement le livre...
  • PARODIE, littérature

    • Écrit par Daniel SANGSUE
    • 5 242 mots
    • 3 médias
    ...», c'est-à-dire de leur transformation mortelle en stéréotypes (Tomachevski, « Thématique », 1925, trad. franç. in Théorie de la littérature, 1965). Prenant l'exemple de Tristram Shandy de Sterne, Chklovski montre comment le récit du romancier anglais met à nu les procédés conventionnels du roman...

Voir aussi