JUSTES PARMI LES NATIONS
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L'appellation de Juste parmi les Nations adoptée par l'État d'Israël, selon une loi de 1953, désigne les non-juifs qui ont pris des risques importants, mettant souvent leur vie en péril, pour secourir les juifs voués à l'assassinat massif par l'Allemagne national-socialiste. L'État hébreu a créé pour ces bienfaiteurs une distinction spéciale, accordée par une commission présidée par un juge de la Cour suprême. Ceux qui en sont honorés reçoivent une médaille à leur nom, accompagnée de cette maxime biblique : « Quiconque sauve une vie sauve l'univers tout entier. » En raison du climat de guerre qui a entouré la naissance d'Israël, il fallut attendre six ans pour que fût fondé à Jérusalem, sur le mont Herzl, un lieu de mémoire de la Shoah. Israël fit édifier un monument (yad en hébreu) pour inscrire le nom (shem) des millions de victimes, mais aussi de ceux qui s'opposèrent au génocide. Depuis 1953, des milliers d'hommes et de femmes ont reçu cette distinction (28 217 au 1er janvier 2022). Eux-mêmes ou un proche parent, lorsqu'ils étaient honorés à titre posthume, plantaient un arbre le long de l'allée des Justes qui conduit au mémorial Yad Vashem, appellation tirée du Livre d'Isaïe (chapitre lvi, verset 5) : « Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles [...] un nom éternel... » Depuis 1992, faute de place, le rite a été remplacé par une autre cérémonie. Le terme de « juste », tsaddik en hébreu, est le plus haut titre de vertu biblique. Il apparaît dans le livre de la Genèse (chapitre vi), avec Noé qui, par sa droiture, sauve le genre humain et de nombreuses espèces animales. Selon la Mishna, le Talmud et les autres textes rabbiniques qui complètent la Tōrah pour former le corps doctrinal du judaïsme, le juste est celui qui observe les sept lois de Noé, le gardien du temple sacré de la vie de l'homme façonné à l'image de son créateur. Cyrus II le Grand, fondateur de l'empire perse achéménide, a été proclamé Juste pour avoir permis le retour des exilés juifs de Babylone et reconstruit le temple de Jérusalem. Cette référence antique honore encore plus les sauveteurs contemporains. Les Polonais (les plus nombreux : ils furent parmi les mieux informés sur la Shoah), les Néerlandais, les Français, les Ukrainiens et les Belges représentent plus des trois quarts des médaillés. Parmi les Polonais, Jan Kozielewski, dit Karski (son pseudonyme de résistant) parvint à Londres en novembre 1942 après avoir clandestinement visité le camp d'extermination de Bełżec et le ghetto de Varsovie, ce qui lui permit de témoigner auprès du monde du génocide juif dans sa véritable ampleur. On trouve aussi des centaines de Justes hongrois et slovaques, lituaniens et biélorusses, allemands (dont Oskar Schindler), italiens, grecs et, en moins grande proportion, russes, tchèques, autrichiens, lettons, roumains, albanais, moldaves, bosniaques, danois (le Danemark sauva 90 % de sa population juive), norvégiens, bulgares, macédoniens, slovènes, estoniens et luxembourgeois, ressortissants de pays régis ou occupés par l'Allemagne nazie et ses alliés. Figurent encore, dans le Livre des Justes, quelques dizaines de citoyens de pays non occupés par les forces européennes de l'Axe (Suisse, Royaume-Uni, Suède, Arménie, Espagne, Brésil, Chine, Japon, Portugal, Turquie, États-Unis) pour avoir, le plus souvent en tant que représentants de leur État ou d'organismes humanitaires, accordé aux juifs des visas qui leur ont permis de fuir. Ceux-là ont parfois agi à grande échelle, comme Raoul Wallenberg, secrétaire de la légation suédoise à Budapest, et Sempo Sugihara, consul du Japon en Lituanie. Les Justes appartiennent à tous les milieux sociaux (et on y compte, par exemple, de nombreux ecclésiastiques). Généralement respectueux de la loi, parfois même habités par des préjugés antisémites, ils se révélèrent insoumis à la monstruosité d'un État criminel. Ils considéraient leur solidarité périlleuse non comme de l'héroïsme, mais comme un comportement si banal que certains refusèrent la médaille. L'État d'Israël n'en a retrouvé qu'une faible partie. Les enquêtes ont été particulièrement difficiles, souvent même impossibles, pendant quarante ans, dans les pays situés derrière l'ancien Rideau de fer. De plus, en Pologne par exemple, seule nation qui créa une organisation spécifique (Żegota) de secours aux juifs dans le cadre de sa résistance, beaucoup de ceux qui aidaient les juifs ont été débusqués par les nazis, à la suite de dénonciations pour des mobiles alimentaires ou racistes, ce qui entraînait l'assassinat des protégés et des protecteurs. En France, le régime d'occupation allemande était moins dur qu'à l'Est. Mais les juifs y furent frappés par un statut discriminatoire – qui ne souleva que de rares protestations – décrété par l'État français en octobre 1940 en dehors de toute pression de l'occupant. Ce statut permit de les recenser un an avant que fût décidée la « solution finale ». À partir de 1942, les juifs étrangers, y compris ceux de la zone libre, furent livrés aux Allemands par les autorités de Vichy, à la suite, cette fois, de tractations entre Pierre Laval et les envahisseurs exigeants. Des milliers de juifs français furent aussi remis à leurs assassins. L'excuse de l'ignorance du génocide, invoquée par certains auxiliaires des criminels nazis, apparaît douteuse, compte tenu des conditions barbares et du caractère systématique des déportations. Dès l'automne de 1942, la radio de Londres diffusait dans l'Europe entière des informations sur l'extermination des juifs. Les Justes avaient compris la situation. Ils contribuèrent largement au salut de 75 % des trois cent vingt mille juifs situés sur le territoire métropolitain français en 1940. Si leur solidarité se manifesta dans toutes les régions, il se constitua des enclaves de sauvetage comme les bourgs du Chambon-sur-Lignon et de Dieulefit, le plateau cévenol et le Sidobre. Mais, même dans un pays redevenu ouvert après sa libération, où la présence juive a largement subsisté, les survivants n'arrivent pas toujours à retrouver leurs bienfaiteurs. Malgré les efforts de mémoire, le Juste inconnu restera majoritaire. Un monument s'élève en son honneur à Yad Vashem. Il rappelle que, dans un monde livré à la barbarie, il est possible, donc nécessaire, de résister, selon le précepte de Hillel l'Ancien : « Là où il n'y a pas d'homme, tu tâcheras, toi, d'être un homme » (Mishna, traité Avot, II, 6).
Bibliographie
I. Gutman dir., Dictionnaire des Justes de France, Fayard, Paris, 2003
L. Lazare, Le Livre des Justes, Lattès, Paris, 1993.
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Écrit par
- Philippe DENOIX
: journaliste, chef d'enquêtes à
La Vie française
Classification
Autres références
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TROCMÉ-GRILLI DI CORTONA MAGDA (1901-1996)
- Écrit par Charles-Louis FOULON
- 663 mots
Disparue le 10 octobre 1996, deux ans après que La Colline aux mille enfants de Jean-Louis Lorenzi eut recréé pour la télévision le sauvetage de nombreux enfants juifs réussi à partir du Chambon-sur-Lignon (Haute-Loire), Magda Trocmé restera au petit nombre des Justes dont le mémorial de Yad Vashem...
Voir aussi