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REYNOLDS JOSHUA (1723-1792)

L'art du portrait

Pour apprécier la place de Reynolds dans la peinture européenne, il convient de se rappeler la situation marginale de la Grande-Bretagne par rapport aux grands courants artistiques du continent. Lorsque le peintre commence sa carrière, son pays vient de connaître une sorte de révolution culturelle avec la découverte tardive de l'art italien sous toutes ses formes (musique, architecture, peinture) par les élites sociales qui ont pris l'habitude du « grand tour » d'Europe à des fins éducatives. Malgré cela, l'art du portrait était demeuré une activité routinière et stéréotypée (exception faite de Hogarth). Reynolds a le mérite de l'avoir sorti de l'ornière, et, même si de nos jours on peut être agacé par l'élégance complaisante de certaines toiles, il faut apprécier à quel point en leur temps elles ont représenté une innovation radicale, servie par une verve et une aisance exceptionnelles.

L'aristocratie forma une partie importante de la clientèle du peintre. Il choisit d'accentuer délibérément le côté théâtral des poses et des costumes d'apparat hérités de la manière de Van Dyck. Lord Bellomont (1773, National Gallery of Ireland, Dublin), en grand uniforme de chevalier de l'ordre du Bain, apparaît comme un bellâtre d'opérette (ce qu'il était dans l'existence). Quant aux femmes, les ladies étaient souvent habillées par Reynolds dans des vêtements flottants, vaguement inspirés de l'Antiquité. S'agissait-il pour lui de mettre en valeur quelque éternel féminin ? S'agissait-il de conférer au portrait le « grand style » michelangelesque recommandé dans les Discours ? À vrai dire, la référence à l'héritage plastique de l'Antiquité et de la Renaissance est toujours ambiguë chez Reynolds ; elle est à la fois hommage sincère et clin d'œil amusé au public cultivé. Il s'agit surtout de tendre à une élite sociale un miroir où elle puisse se voir (déguisement compris) en héritière de la Rome antique.

Lorsqu'il peint des officiers de marine ou des militaires, Reynolds utilise un style tout différent. Ce n'est plus une culture qui est signalée, mais un caractère qui est défini. Engagée dans des guerres continentales et coloniales, la Grande-Bretagne est fière de ses héros. Reynolds excelle à les mettre en scène de manière flatteuse et expressive. Ses arrière-plans sont mouvementés, en style « sublime », avec canonnades, naufrages, tempêtes.

Dans la première toile qui le rendit célèbre, on voit le Commodore Keppel, rescapé d'un naufrage et pointant un index impérieux qui manifeste son sang-froid et sa résolution. Il ne faut pas chercher de réalisme dans cette scène, mais l'apprécier comme une théâtralisation du caractère.

<it>Le Colonel Tarleton</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Le Colonel Tarleton, J. Reynolds

Le Colonel Tarleton (1782, National Gallery, Londres) est montré comme un jeune dandy héroïque restant imperturbable dans la fièvre du combat symbolisée par le rouge des drapeaux, les volutes de fumée et l'œil exorbité du cheval. Par-delà l'expression de la ressemblance du modèle, Reynolds cherchait à traduire l'identité psychologique et sociale du personnage.

Lorsqu'il peint ses amis écrivains et artistes, il utilise une grande économie de moyens, affectionnant souvent le clair-obscur à la Rembrandt. Ainsi les visages et les mains d'Horace Walpole (1757, Knole), de William Chambers (non daté, National Portrait Gallery, Londres), de Laurence Sterne (1760, id.), d'Oliver Goldsmith (1769, Knole) et de Samuel Johnson (id.) apparaissent fortement éclairés sur un fond sombre ou neutre, concentrant notre attention sur le regard du présumé génie.

<it>Mrs. Abington en "Miss Prue"</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Mrs. Abington en "Miss Prue", J. Reynolds

C'est dans le cas des gens de théâtre que Reynolds se montre le plus inventif et le plus habile. Il aime à les fixer dans un rôle, et même à leur inventer des rôles inédits. Mrs. Abington[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal

Classification

Pour citer cet article

Jacques CARRÉ. REYNOLDS JOSHUA (1723-1792) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Le Colonel Tarleton</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Le Colonel Tarleton, J. Reynolds

<it>Mrs. Abington en "Miss Prue"</it>, J. Reynolds - crédits :  Bridgeman Images

Mrs. Abington en "Miss Prue", J. Reynolds

Master Hare, J. Reynolds - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Master Hare, J. Reynolds

Autres références

  • DISCOURS SUR LA PEINTURE, Joshua Reynolds - Fiche de lecture

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    • Écrit par Jacques CARRÉ, Barthélémy JOBERT
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    ...des grands maîtres de l'art européen, d'organiser des expositions annuelles et aussi d'élever le statut social des peintres, sculpteurs et architectes. Joshua Reynolds (1723-1792) en fut élu le premier   président, et ses Discours sur l'art, publiés en 1797, expriment parfaitement les normes désormais...
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    Peintre américain. Copley joue un rôle essentiel dans l'histoire de la peinture américaine, car c'est lui qui la fait passer de la tradition archaïque des « primitifs », caractérisée par un style linéaire à deux dimensions, de caractère idéographique, et par des formules stéréotypées, à une...

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Voir aussi