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STERNBERG JOSEF VON (1894-1969)

La fulgurance des signes

Sternberg était l'auteur de la plupart de ses films ; il en écrivait ou revoyait le scénario, inspirait les décorateurs et les costumiers, dirigeait ou supervisait les prises de vue, intervenait personnellement au montage, et allait jusqu'à composer certaines partitions musicales.

Fausse modestie ou provocation, Sternberg a toujours refusé qu'on lût ses films à plusieurs niveaux. Selon lui, décors, meubles, objets, costumes, éclairages, panoramiques ou contrepoint image-son ne dépasseraient pas leur signification immédiate. Mais comprenait-il lui-même pourquoi il les avait si minutieusement choisis ?

Il usait cependant du langage cinématographique en pleine connaissance de cause : « La caméra, étant mobile, peut regarder le sujet d'en haut, d'en bas, le rapprocher, le repousser, le révéler, le dissimuler, imposer un « tempo », ajouter un millier de variables, grâce aux jeux illimités de l'ombre et de la lumière. »

De fait, ses images et ses sons renvoient, comme autant de signifiants, à un univers propre.

Sternberg avant tout compose des images. Il regarde souvent la mer, qui permet tous les rêves d'évasion, et la boue des ports, qui les renforce. « Partie du port de San Pedro, que fouille la grue de Salvation Hunters, l'œuvre de Sternberg parvient aux rives fiévreuses d'Anatahan, et se définit comme une ample et inquiète méditation sur l'eau » (Marcel Oms). C'est un homme de décors (les grues des ports qui draguent des immondices, les filets qui dans le cabaret de L'Ange bleu, entortillent le professeur Unrath) et de costumes (les toques de minoches, les boas, les ornements de plumes dessinés par Travis Banton pour Evelyn Brent et Marlene Dietrich, symboles d'une fluide fragilité ou d'un onirisme trompeur, les dessous de dentelles, les bas transparents, les jarretières, générateurs d'un érotisme de pacotille). Mais c'est aussi un chantre par l'absurde de la lumière, avec des éclairages complexes, où les zones claires et les coins obscurs, dans la tradition expressionniste, peignent l'ambiguïté des nuits de Chicago et des cabarets de Marrakech ou de Macao.

Maître de ses cadrages (il tient parfois la caméra lui-même, comme dans Anatahan), jouant de l'image fixe et, en virtuose, des mouvements de caméra, il se présente comme un « metteur en scène » complet, parfaitement conscient des ressources du langage cinématographique.

Tous ces éclats n'effacent cependant pas certaines faiblesses. L'attrait de la forme et du symbole esthétique a conduit Sternberg à composer des images exemplaires. Mais dès l'époque du muet, il les a fignolées aux dépens de la ligne narrative. Il a juxtaposé, aligné des images belles, et signifiantes, chacune en elle-même, sans réaliser parfaitement dans son montage la synthèse du récit. Ses films racontent des histoires dont l'exposé dépend d'un enchaînement de faits, contrairement à ceux de l'école soviétique où la dialectique des plans servait le style épique. Le muet l'a ainsi desservi.

Comme Eisenstein, comme René Clair, il a tout de suite compris les possibilités expressives du son : « Le son introduit un autre monde, déclare-t-il, un monde qui stimule l'imagination au-delà du cadre de l'image. Le son doit faire contrepoint avec l'image, lui ajouter quelque chose sans rien lui soustraire [...]. Le son est réaliste, la caméra ne l'est pas. » Mais son œuvre sonore, si elle a gagné en narrativité, s'équilibre peut-être moins bien encore en confondant dans un univers filmique hybride le réalisme fidèle d'une partition sonore et des images de plus en plus travaillées, parfois jusqu'à l'extravagance. On peut lui reprocher de ne pas avoir pu trouver un équilibre satisfaisant entre ses thèmes et leur expression, entre le cadre et la psychologie, entre l'action et ses héros. Mais[...]

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Écrit par

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Pour citer cet article

Victor BACHY. STERNBERG JOSEF VON (1894-1969) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Shanghai Express, J. von Sternberg - crédits : Eugene Robert Richee/ Moviepix/ Getty Images

Shanghai Express, J. von Sternberg

Josef von Sternberg et Marlene Dietrich - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Josef von Sternberg et Marlene Dietrich

<it>Moi, Claude</it> - crédits : Fred Morley/ Getty Images

Moi, Claude

Autres références

  • L'ANGE BLEU, film de Josef von Sternberg

    • Écrit par Michel MARIE
    • 984 mots

    Josef von Sternberg (1894-1969), de son vrai nom Jonas Sternberg, est un juif viennois d'origine modeste dont la famille émigre aux États-Unis dans sa petite enfance. Il débute à Hollywood en 1912 en exerçant toutes sortes de métiers : nettoyeur et vérificateur de copies de films, monteur,...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...d'expression maîtrisé, fluide, qui transmet la vision intime des créateurs : Griffith, Chaplin, Stroheim, Keaton, Harry Langdon, auxquels sont venus se joindre Sternberg, Vidor, Hawks, alors débutants. Jamais les gags de la comédie burlesque n'ont été aussi précis : Le Cirque (The Circus, Chaplin,...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Musique de film

    • Écrit par Alain GAREL
    • 6 489 mots
    • 5 médias
    ...Henrik Ibsen, tic qui le fera identifier par un marchand de ballons aveugle auquel il avait acheté un de ces jouets pour une de ses futures victimes. Il en va de même dans Morocco (Cœurs brûlés) de Josef von Sternberg (1930), quand l'héroïne scrute les visages des membres d'une compagnie de la Légion...
  • COOPER GARY (1901-1961)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 626 mots
    • 3 médias
    ...svelte, fait partie du sex appeal de la star : c'est ce qui fait de Cooper un « homme fatal » pour Amy Jolly (Marlene Dietrich) dans Morocco. Sternberg ne s'est pas contenté d'« inventer » Marlene, il a ajouté nombre de caractéristiques au personnage de Cooper lors de son passage du muet au parlant....
  • DIETRICH MARLENE (1901-1992)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 592 mots
    • 5 médias

    Si Garbo était « la divine », Marlene est « l'impératrice ». Elle l'est parce qu'on ne l'imagine guère sans le costume d'apparat qui sied à la fonction dans The Scarlet Empress (L'Impératrice rouge, 1934), évidemment, ou dans Dishonored (X27, 1931), Shanghai...

Voir aussi