STERNBERG JOSEF VON (1894-1969)
Né sous François-Joseph comme Pabst et Stroheim, Sternberg, autrichien mi-américanisé, a pris avec son pays et avec son temps le recul de l'artiste et a traduit dans une œuvre inégale, formellement étincelante, sa haine du réel, homme, choses et époque. Comme ses deux compatriotes, il vécut en maître et en solitaire. Sa véritable personnalité n'appelle que des hypothèses. L'exégèse approfondie de ses films est encore à faire, qui fera mentir sa boutade : « Les critiques sont devant mes films comme devant un test de Rorschach qu'ils doivent déchiffrer. Leurs préférences et leurs idées ne sont que des projections d'eux-mêmes. »
Un errant
Né à Vienne en 1894 d'une famille israélite, Josef Sternberg (le von est une addition de coquetterie ou de défi) avait sept ans lorsqu'il émigra aux États-Unis avec ses parents en transitant par Hambourg, dont le sordide marqua sa sensibilité. Rentré en Autriche en 1910 pour y faire des études de lettres, il regagna l'Amérique au début de la guerre de 1914. Il y débuta aussitôt dans le cinéma. Monteur, assistant, puis réalisateur de films didactiques pour l'armée, il poursuivit pendant de longues années une carrière artisanale, à Londres, à New York et à Los Angeles, apprenant un métier sans savoir qu'il deviendrait un créateur.
Son œuvre de la période du muet, en partie remaniée : Escape (1925) ; refusée : La Mouette (The Sea Gull, 1926) ; ou perdue : L'Assommeur (Thunderbolt, 1929), fut entièrement réalisée en Californie. Elle est dominée par Les Chasseurs du salut (The Salvation Hunters, 1925), Les Nuits de Chicago (Underworld, 1927), Crépuscule de gloire (The Last Command, 1928) et Les Damnés de l'océan (The Docks of New York, 1928). Les réprouvés sociaux l'occupent tout entière : « Trois épaves humaines vivant sur un chaland à boue », la pègre nocturne de Chicago, un ex-général tsariste au fond de la déchéance, le soutier et la prostituée, sans oublier la servante séduite et abandonnée : Le Calvaire de Lena X (The Case of Lena Smith, 1929).
Appelé en Allemagne au début du parlant, il réalise L'Ange bleu(Der blaue Engel, 1930), qui lui révèle Marlene Dietrich. Il la ramène à Hollywood et les circonstances (liaison, succès, contrats) les lient l'un à l'autre pour cinq ans et six films : Cœurs brûlés (Morocco, 1930), X 27 (Dishonored, 1931), Shanghai Express(1932), Blonde Vénus (The Blonde Venus, 1932), L'Impératrice rouge (The Scarlet Empress, 1934) et La Femme et le Pantin (The Devil Is a Woman, 1935).

Moi, Claude
Hulton Getty
Moi, Claude
Joseph von Sternberg (à gauche), Merle Oberon et Charles Laughton lors du tournage de Moi, Claude,…
Hulton Getty
Il signe ensuite plusieurs films mineurs, doit interrompre Moi, Claude (I, Claudius) en Angleterre, abandonne plusieurs projets, tombe malade, rentre à Hollywood, se heurte à divers obstacles et demeure longtemps dans l'inactivité.
Shanghai, ville de folies (Shanghai Gesture, 1941), « un monstre, mais un monstre admirable » (R. Stengel), marquait, crut-on, la fin d'une œuvre. Elle devait se clore, après Les espions s'amusent (Jet Pilot, 1950) et Macao, cité ardente (Macao, 1951), reniés par Sternberg, par une sorte de feu d'artifice (sans s et avec s) : Fièvre sur Anatahan (The Saga of Anatahan, 1953), produit et tourné au Japon, selon son cœur et sans entrave. Il consacre alors son temps à la lecture, à la rédaction de ses mémoires, à l'enseignement, au voyage. Il meurt à Hollywood.
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Écrit par
- Victor BACHY : professeur à l'université de Louvain
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Pour citer cet article
Victor BACHY, « STERNBERG JOSEF VON (1894-1969) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
Médias

Josef von Sternberg et Marlene Dietrich
Hulton Archive/ Getty Images
Josef von Sternberg et Marlene Dietrich
Le réalisateur Josef von Sternberg (1894-1969) et l'actrice Marlene Dietrich (1901-1992).
Hulton Archive/ Getty Images
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