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JEANNE D'ARC (1412-1431)

Jeanne après Jeanne

Jeanne avait de son vivant connu une célébrité due surtout à l'étonnement de voir la Pucelle « passer de la garde des brebis à la tête des armées du roi de France ». Au lendemain de sa mort son souvenir fut tantôt honoré, tantôt exploité, bien que, à la cour et au sommet de la hiérarchie ecclésiastique, on fût porté à faire silence sur elle pour attribuer à Dieu seul et à son intérêt pour la monarchie française les événements provoqués par l'action de Jeanne. Des villes comme Bourges et surtout Orléans firent célébrer une messe de requiem à l'anniversaire de sa mort. À Orléans, une pièce de théâtre, ébauchée en 1435-1439, mise en forme en 1453-1456, le Mistère du siège d'Orléans, fut jouée à plusieurs reprises. Une fausse Jeanne, Jeanne ou Claude du Lis, apparut dans la région de Metz en 1436, épousa un pauvre chevalier, Robert des Armoises, et cette Jeanne des Armoises, qui fut reconnue par les frères de Jeanne – aberration ou calcul ? – donna le change jusqu'en 1440 où elle fut démasquée – ironie du sort – par l'Université et le Parlement de Paris.

L'époque humaniste voit une éclipse de Jeanne. L'historiographie officielle minimise l'importance de l'héroïsme au profit de la monarchie qui, par la volonté de Dieu, a été la véritable salvatrice de la France. Un courant rationaliste voit dans Jeanne la création et la créature d'un groupe de politiques avisés et cyniques (par exemple Girard du Haillan : De l'estat et mercy des affaires de France, 1570). D'autres la placent simplement dans la galerie à la mode des « femmes vertueuses ». Rares sont ceux qui, comme François de Belleforest (Les Grandes Annales, 1572) ou Étienne Pasquier (Les Recherches de la France, 1580), s'efforcent à une objectivité érudite. Pourtant, certains curieux s'intéressent au texte des procès puisqu'une trentaine d'exemplaires manuscrits ont été conservés pour la période de la Renaissance. D'autre part, avec les guerres de religion, Jeanne, vilipendée par les protestants (ils avaient détruit en 1567 le monument qui lui avait été élevé à Orléans), tendait à devenir la patronne des catholiques et en particulier des catholiques extrémistes, les ligueurs.

<it>Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims</it>, J. A. D.  Ingres - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims, J. A. D.  Ingres

Le xviie siècle serait aussi une époque négative pour Jeanne d'Arc, dont le caractère « gothique » choquait l'esprit classique, si Jean Chapelain ne lui avait consacré une longue épopée, La Pucelle, ou La France délivrée (1656), qui fut « attendue comme une Énéide » et consterna les meilleurs amis du poète. Les libertins cependant ne voyaient en Jeanne qu'une « subtilité politique » et prétendaient qu'elle n'avait été brûlée qu'en effigie. Cette veine rationaliste semble triompher au siècle des Lumières. Jeanne est une des cibles favorites de Voltaire, qui cherche à la ridiculiser dans l'épopée héroï-comique de La Pucelle (composée en 1738, éditée en 1762), peu estimée aujourd'hui, mais très admirée par les milieux éclairés du xviiie siècle. Voltaire n'était pas seul de son bord. Beaumarchais, dans Les Lettres sérieuses et badines (1740), l'Encyclopédie ne voyaient en Jeanne qu'une malheureuse « idiote » manœuvrée par des fripons. Montesquieu la réduisait à une « pieuse fourberie ». Pourtant une abondante littérature catholique d'édification chantait ses louanges, le nombre des gravures la représentant en guerrière atteste sa popularité. Des esprits indépendants étaient sensibles à son personnage : Rousseau offrit à la république de Genève un texte des procès. Le mythe de Jeanne d'Arc doit beaucoup au romantisme et à deux poètes étrangers, l'Anglais Robert Southey (1795) et l'Allemand Schiller qui dans la pièce Die Jungfrau von Orléans fit de Jeanne[...]

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

Classification

Pour citer cet article

Jacques LE GOFF. JEANNE D'ARC (1412-1431) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Jeanne d'Arc prisonnière à Rouen</it>, P. Révoil - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeanne d'Arc prisonnière à Rouen, P. Révoil

<it>Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims</it>, J. A. D.&nbsp;&nbsp;Ingres - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims, J. A. D.  Ingres

Falconetti dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann Collection/ Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc

Autres références

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • BEDFORD JEAN DE LANCASTRE duc de (1389-1435)

    • Écrit par Paul BENOÎT
    • 747 mots

    Troisième fils d'Henri IV d'Angleterre, Jean de Lancastre est fait duc de Bedford par son frère Henri V en 1414. Mêlé très jeune aux luttes politiques, il soutient son frère qui lui confie la lieutenance du royaume lors de ses expéditions en France. À ce titre, il prend Berwick aux Écossais...

  • BRECHT BERTOLT (1898-1956)

    • Écrit par Philippe IVERNEL
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    Sainte Jeanne des abattoirs (1931) est, dans le principe, plus proche de l'Opéra de quat'sous. Brecht s'attaque, une fois de plus, au vieux démon de l'idéalisme. Joan Dark, militante de l'Armée du Salut, mène seule le combat contre le grand capital de Chicago, à qui elle veut inculquer le...
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    Dès 1905, pour protester contre la « panthéonisation » de Zola, un groupe d'étudiants d'Action française conduit par Maurice Pujo s'organise afin de réveiller l'opinion « même en la scandalisant » ; mais c'est en 1908, lors d'une rencontre entre Maxime Réal del Sarte, Henry...

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