Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

JEANNE D'ARC (1412-1431)

Jeanne d'Arc qui, grâce à la documentation d'une exceptionnelle richesse constituée par les dossiers de ses deux procès (condamnation en 1431, réhabilitation en 1456), est l'un des personnages les mieux connus du xve siècle reste pourtant mystérieuse. Cela tient d'abord au contraste qui rend son action et les sources historiques qui la présentent déconcertantes. Paysanne qui ne sait ni lire ni écrire, dont tout le bagage savant se limite à la récitation du Pater, de l'Ave et du Credo et aux échos de sermons et de conversations entendus, elle est portée ou se porte (l'initiative de son action paraît bien lui revenir) au premier rang de la société.

Les procès ont bien consigné ses déclarations authentiques, mais ils sont rédigés dans la langue des juristes et des théologiens, alors que les paroles de Jeanne expriment une mentalité, une culture populaires. Ce contraste a rendu Jeanne incompréhensible ou suspecte à la plupart de ses contemporains (de Charles VII à ses juges) et des historiens, du xve siècle à nos jours. Mais ceux qui ont saisi l'importance du caractère populaire de son comportement, de ses idées, de ses croyances ont faussé l'image de la Jeanne d'Arc historique soit par leur conception erronée du peuple (en partie Michelet, et surtout Péguy), soit par leur ignorance de la culture et de la mentalité populaires dans la France du début du xve siècle.

Le fossé culturel séparant Jeanne de son entourage politique, militaire et ecclésiastique au xve siècle et, depuis lors, de ses historiens a permis toutes les interprétations. L'historiographie de Jeanne d'Arc est ainsi devenue le condensé de l'évolution historiographique du xve siècle à nos jours. Pour l'historien d'aujourd'hui, cette évolution n'est pas moins intéressante que l'histoire même de Jeanne. Il y a notamment une Jeanne d'Arc gothique, une Jeanne d'Arc Renaissance, une Jeanne d'Arc classique, une Jeanne d'Arc des « Lumières », une Jeanne d'Arc romantique, une Jeanne d'Arc nationaliste, etc.

Les deux caractères qui, au xxe siècle, sont passés au premier plan : la sainteté et le nationalisme, sont liés au moment historique et chargés d'équivoques et d'erreurs de perspective historique. Jeanne d'Arc, au xve siècle, ne pouvait apparaître comme une sainte à personne et l'idée n'a effleuré aucun de ses plus chauds partisans. L'interprétation qui a été faite de paroles prononcées par certains témoins qui l'auraient traitée de « bona et sancta persona » repose sur un contresens. L'expression ne signifie pas « bonne et sainte personne », mais « personne de bonnes mœurs et de religion droite ». S'il est vrai que Jeanne a été animée par un sentiment « national » et a suscité des passions « nationales » en son temps, elle n'a ni créé ni même cristallisé ce sentiment qui existait en France bien auparavant, notamment dans les milieux populaires ; la nature du « nationalisme » du xve siècle est différente de celle du nationalisme moderne et contemporain.

Si la plupart des interprétations de Jeanne d'Arc depuis le xve siècle sont issues de déformations de bonne foi dues à l'outillage mental et scientifique de l'époque, si l'on comprend comment, de son vivant, ses ennemis, mal intentionnés sans doute, ont pu cependant confondre, plus ou moins de bonne foi, piété populaire et hérésie ou sorcellerie, il faut dénoncer les entreprises modernes qui, au mépris des textes les plus clairs et des données les plus certaines, reprennent inlassablement certaines erreurs. Il en est trois surtout, qui sont autant de contre-vérités assurées. Jeanne n'était pas une bâtarde royale ou noble, fruit par exemple des amours secrètes de la reine Isabeau de Bavière et du duc d'Orléans. Jeanne[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

Classification

Pour citer cet article

Jacques LE GOFF. JEANNE D'ARC (1412-1431) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Jeanne d'Arc prisonnière à Rouen</it>, P. Révoil - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeanne d'Arc prisonnière à Rouen, P. Révoil

<it>Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims</it>, J. A. D.&nbsp;&nbsp;Ingres - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Jeanne d'Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims, J. A. D.  Ingres

Falconetti dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann Collection/ Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc

Autres références

  • 1848 ET L'ART (expositions)

    • Écrit par Jean-François POIRIER
    • 1 189 mots

    Deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Paris du 24 février au 31 mai 1998 au musée d'Orsay, 1848, La République et l'art vivant, et du 4 février au 30 mars 1998 à l'Assemblée nationale, Les Révolutions de 1848, l'Europe des images ont proposé une...

  • BEDFORD JEAN DE LANCASTRE duc de (1389-1435)

    • Écrit par Paul BENOÎT
    • 747 mots

    Troisième fils d'Henri IV d'Angleterre, Jean de Lancastre est fait duc de Bedford par son frère Henri V en 1414. Mêlé très jeune aux luttes politiques, il soutient son frère qui lui confie la lieutenance du royaume lors de ses expéditions en France. À ce titre, il prend Berwick aux Écossais...

  • BRECHT BERTOLT (1898-1956)

    • Écrit par Philippe IVERNEL
    • 5 507 mots
    • 7 médias
    Sainte Jeanne des abattoirs (1931) est, dans le principe, plus proche de l'Opéra de quat'sous. Brecht s'attaque, une fois de plus, au vieux démon de l'idéalisme. Joan Dark, militante de l'Armée du Salut, mène seule le combat contre le grand capital de Chicago, à qui elle veut inculquer le...
  • CAMELOTS DU ROI

    • Écrit par Germaine LECLERC
    • 274 mots

    Dès 1905, pour protester contre la « panthéonisation » de Zola, un groupe d'étudiants d'Action française conduit par Maurice Pujo s'organise afin de réveiller l'opinion « même en la scandalisant » ; mais c'est en 1908, lors d'une rencontre entre Maxime Réal del Sarte, Henry...

  • Afficher les 14 références

Voir aussi