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INDO-EUROPÉEN

Le tokharien et le hittite

Les grands travaux de base étaient déjà écrits lorsque, coup sur coup, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, furent découvertes, déchiffrées et interprétées deux nouvelles langues de cette famille linguistique : le tokharien et le hittite. Ces langues allaient renouveler les connaissances de la protolangue et éclairer sur une foule de détails restés jusqu'alors dans l'ombre.

Le tokharien, la première déchiffrée de ces deux langues, est également la plus récente. Il s'agit d'une langue indo-européenne parlée jusque dans la seconde moitié du premier millénaire après J.-C. et dont une mission prussienne et une mission française ont retrouvé, dans le Turkestan chinois, de nombreux documents écrits en un syllabaire d'origine indienne. Ces textes, dont beaucoup de bilingues tokhariens-sanskrits facilitèrent le déchiffrement, sont constitués pour une bonne part de traductions de textes religieux bouddhiques. Cette langue, parlée sous deux variétés, appelées dialecte A et dialecte B, est aujourd'hui éteinte. Elle fut remplacée à une date inconnue par l'ouïgour, langue qui est utilisée de nos jours encore dans cette région.

Si le caractère indo-européen du tokharien fut démontré de manière irréfutable dès 1908, il fallut cependant attendre 1921 pour que E. Sieg et W. Siegling publient, en général sans traduction et sans lexique, les textes en dialecte A, tandis que ce ne fut qu'en 1933 que S. Lévi édita, avec un lexique très détaillé, les textes en dialecte B. Du point de vue de l'indo-européen, les dialectes tokhariens présentent deux paradoxes. Tout d'abord, ils sont connus par des textes de date relativement récente, mais attestent quelques-uns des traits les plus archaïques de l'indo-européen bien que la physionomie générale des mots ait été profondément modifiée par la fixation d'un accent tonique sur l'avant-dernière syllabe du mot indo-européen. En second lieu, on divisait traditionnellement les langues indo-européennes en langues centum et langues satem, d'après la forme que prenait le mot « cent » dans les différentes langues, les langues centum étant localisées géographiquement à l'ouest, les autres à l'est. Or les dialectes tokhariens étaient parlés à l'extrême est du territoire indo-européen bien qu'étant une langue centum.

Une des particularités remarquables du tokharien consiste à confondre en une série de sourdes les occlusives sourdes, sonores et sonores aspirées de l'indo-européen. Cette confusion a dû se faire au moins en deux étapes puisque ces dialectes conservent des traces d'une distinction ancienne entre les non-aspirées et les aspirées. Dans bien des cas, le témoignage du tokharien permet d'assurer certaines reconstructions ou d'en proposer de nouvelles. Ainsi, on connaissait en vieux slave un suffixe -ynja, utilisé pour la formation d'abstraits d'adjectifs, l'équivalent lituanien -une n'autorisait pas à poser la forme comme indo-européenne, le témoignage du tokharien -une est décisif. Un autre rapprochement significatif est celui du vieux slave reka, rešti, « dire », rečǐ, « mot », et du tokharien A rake, B reki, « mot ».

Le déchiffrement du hittite ne prit qu'une dizaine d'années grâce aux textes bilingues hittites- akkadiens. Des archéologues allemands trouvèrent en 1906 à Boǧazköy (Anatolie centrale) un grand nombre de tablettes cunéiformes écrites en plusieurs langues dont trois sont indo-européennes, le nésite, le louvite et le palaïte. L'immense majorité des textes hittites sont en dialecte nésite.

Les langues indo-européennes d'Anatolie ancienne offrent deux caractères apparemment contradictoires. D'une part, elles présentent de manière vivante des traits qui, conservés ailleurs, ne le sont[...]

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Écrit par

  • : docteur en philosophie et lettres, professeur ordinaire à l'université de Louvain

Classification

Pour citer cet article

Guy JUCQUOIS. INDO-EUROPÉEN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Occlusives - crédits : Encyclopædia Universalis France

Occlusives

Autres références

  • INDO-EUROPÉENS (archéologie)

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
    • 5 145 mots
    • 1 média

    À partir du début du xixe siècle, la plupart des linguistes ont expliqué les ressemblances entre les différentes langues indo-européennes par l'existence d'une langue unique préhistorique (Ursprache en allemand), existence qui impliquait elle-même la présence d'un peuple la parlant...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Langue

    • Écrit par Paul VALENTIN
    • 4 345 mots
    • 3 médias
    ...les occupants antérieurs, de qui nous ne savons rien, sinon qu'ils étaient agriculteurs, et des conquérants venus, peut-être, du sud-est de l'Europe. Ces derniers avaient imposé leur langue, issue de l'aire dialectale indo-européenne, c'est-à-dire ressemblant par un certain nombre de traits au latin,...
  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Langue

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    • 6 289 mots
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    L'anglais est une langue germanique qui, par sa structure, appartient à la catégorie des langues indo-européennes. Il est étroitement apparenté au frison, au hollandais, au bas allemand qui, avec le haut allemand, constituent le groupe occidental des langues germaniques.

    Importé dans les îles...

  • ARCHÉOLOGIE (Archéologie et société) - Archéologie et enjeux de société

    • Écrit par Jean-Paul DEMOULE
    • 4 676 mots
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    À un niveau plus large encore, la science allemande s'est illustrée, durant tout le xixe siècle, dans la définition et le traitement du problème « indo-européen » (en allemand, indo-germanisch). La reconnaissance, au début du xixe siècle, d'une parenté linguistique entre la plupart...
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    Francisé en « aryen », le terme sanskrit ārya (avestique, airya) signifie « excellent, honorable, noble ». Ainsi se désignent, avec la morgue coutumière des conquérants, les populations de langue indo-européenne qui, vers la fin du IIIe millénaire avant l'ère chrétienne,...

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Voir aussi