DIDI-HUBERMAN GEORGES (1953- )
Georges Didi-Huberman est né en 1953 à Saint-Étienne. Philosophe et historien de l'art, il enseigne depuis 1990 à l'École des hautes études en sciences sociales de Paris. Avec plus d'une trentaine de livres publiés depuis 1982, il est l'un des théoriciens de l'image les plus actifs dans le paysage contemporain.
Détonant par son objet et par sa méthode, son tout premier ouvrage donne le ton : dans L'Invention de l'hystérie. Charcot et l'iconographie photographique de la Salpêtrière (1982), Didi-Huberman inaugure un espace de réflexion inédit sur les images. Ni produit de l'histoire de l'art la plus traditionnelle, ni position de survol sur les pratiques, ce premier projet issu de recherches doctorales échappe aux catégories habituelles. S'agit-il d'un ouvrage de philosophie ou d'un essai d'histoire des images ? Rien ne permet ici de séparer nettement les deux options. Sans doute est-ce là la force de l'œuvre de Didi-Huberman : trouver un équilibre entre les perspectives épistémologiques et l'étude patiente de motifs visuels singuliers. Avec le même enthousiasme, ses travaux se frottent aux grands problèmes de l'esthétique (style, sens, représentation) tout en introduisant le lecteur à des objets aussi peu académiques que taches de peinture, volutes de fumée, clichés d'hystériques ou photographies de presse.
Dans ses premiers travaux, Didi-Huberman s'attache à rendre quelque visibilité aux zones impensées de l'histoire de l'art, à tous ces objets mal vus, ignorés ou trop vite oubliés. Fra Angelico, dissemblance et figuration (1990) attire par exemple l'attention sur les projections de peinture du couvent de San Marco à Florence, longtemps associées par les exégètes à des faux marbres. Or, à considérer dans leur seule fonction décorative ces éléments non représentatifs, on passait à côté des significations multiples qu'ils pouvaient prendre pour les religieux du temps de Fra Angelico. Le souci d'une lecture anthropologique des images (opposée à une lecture ontologique) traverse de la même manière les articles rassemblés en 2007 sous le titre L'Image ouverte, motifs de l'incarnation dans les arts visuels.
Georges Didi-Huberman élabore une esthétique des symptômes, une histoire des rebuts de l'art. Mais loin de simplement dénoncer les oublis dont souffrent les images, il nous permet avant tout d'interroger les conditions du regard que nous portons sur elles. Parce qu'il sait que « voir » et « savoir » ne vont pas l'un sans l'autre, Didi-Huberman propose d'analyser les procédures de connaissance et les catégories de pensée qui déterminent nos manières de regarder. Sur un plan théorique et méthodologique, Georges Didi-Huberman a donc consacré ses forces critiques à libérer l'image des carcans théoriques où elle était prise. Dans des livres comme Devant l'image (1990) ou Devant le temps (2000), il se situe à contre-courant des méthodes traditionnelles de l'histoire de l'art pour défendre une lecture dynamique des images, soucieuse de leur surdétermination. Au plus près de ses objets, Didi-Huberman insiste sur la dimension concrète des singularités, convoquant notamment, afin d'interroger les images et leurs modes infinis d'apparition, les outils de la psychanalyse freudienne et de la phénoménologie post-husserlienne. Inspiré par l'approche sensible de l'œuvre défendue chez des auteurs comme Martin Heidegger, Erwin Straus, Maurice Merleau-Ponty ou Henri Maldiney, Didi-Huberman forge les concepts de « lieu », de « visuel » ou de « pan », ce moment symptomatique de la représentation picturale. Consacrés aux plasticiens contemporains Pascal Convert, Simon Hantaï, Claudio Parmiggiani, Giuseppe Penone et James Turrell, les cinq ouvrages monographiques constituant la série « Fable du lieu » (1998-2001) sont exemplaires de ce point de vue.
Dans le sillage du bouleversement épistémologique qu'il a amorcé, Georges Didi-Huberman adopte ensuite un point de vue sur l'image plus franchement politique. À cet égard, la théorie de la culture défendue par l'historien allemand Aby Warburg (1866-1929) a probablement joué un rôle fondamental. Preuve en est le titre, Survivance des lucioles (2009), qui sollicite l'un des concepts les plus difficiles du théoricien allemand, celui de « survivance », et qui défend l'idée d'un espace de résistance propre à l'art et à la culture populaire. Le succès des travaux de Didi-Huberman tient pour partie à la redécouverte d'Aby Warburg. L'Image survivante (2002) constitue certainement, dans le domaine francophone, la meilleure introduction à son œuvre. Dans cette logique, dès La Ressemblance informe (1995) consacré à Georges Bataille et à la revue Documents, Didi-Huberman s'est intéressé à ceux (artistes et théoriciens) qui ont développé une pratique de démontage et remontage d'éléments visuels, visant à transformer et repenser les narrations auxquelles les images sont liées, et surtout à produire de nouvelles possibilités de connaissances. S'appuyant sur une lecture originale de Walter Benjamin ou de Bertolt Brecht, la « politique de l'imagination » vise ici à décortiquer les effets idéologiques inhérents à notre espace de représentation et à souligner les vertus émancipatrices des montages d'images. Déjà latent dans les ouvrages précédents, ce projet est au cœur de la série « L'Œil de l'histoire », commencée avec Quand les images prennent position (2009) et Remontages du temps subi (2010). Consacré à nouveau à Aby Warburg et son temps, le troisième volume, Atlas, ou le Gai savoir inquiet (2011) reprend les recherches liées à l'expositionAtlas présentée au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia à Madrid. Peuples exposés, peuples figurants (2012), enfin, s’intéresse à la représentation de la foule anonyme et des « sans-noms » en littérature (Hugo, Baudelaire), en peinture (Goya, Courbet), dans la photographie (Walker Evans, August Sander) et au cinéma (Rossellini, Pasolini).
Comment se construit le rapport entre connaître et regarder ? Cette question, centrale chez Georges Didi-Huberman, inspire également Phalènes.Essais sur l’apparition (2013), Sentir le grisou (2014) et Essayer voir (2014).
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Écrit par
- Maud HAGELSTEIN : docteur en philosophie de l'université de Liège, chargée de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique
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