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D'ANNUNZIO GABRIELE (1863-1938)

Le surhomme

Comme il s'était libéré, ou avait cru se libérer, de « la chimère de l'amour et de l'art », d'Annunzio va dépasser la religion tolstoïenne de la douleur et de la pitié. C'est dans la morale de Nietzsche qu'il puisera, avec le culte de la volonté et de l'héroïsme, un dynamisme qui le tire de son angoisse et dont il fait, dès lors, sa loi.

Ses romans et son théâtre

Achevé sous le signe du surhomme, Trionfo della morte (Le Triomphe de la mort) n'en annonce encore que l'avènement : Giorgio Aurispa est un velléitaire, écrasé par son hérédité suicidaire et son pessimisme schopenhauerien, qui ne saurait atteindre à l'idéal de Zarathoustra. Le surhomme s'affirme avec Claudio Cantelmo, le protagoniste des Vergini delle rocce (Les Vierges aux rochers, 1895) et surtout avec Stelio Effrena et Paolo Tarsis, les héros d'Il Fuoco (Le Feu, 1899) et de Forse che sì, forse che no (Peut-être bien que oui, peut-être bien que non, 1910) qui seront nietzschéens. Ils illustrent divers aspects du surhomme : sa sensualité, son orgueil, son esthétisme, ses dégoûts d'aristocrate, son amour du risque et son mépris de la mort. Sans se soucier de la progression du récit, le romancier s'attarde à telle description qui le séduit, à tel commentaire artistique ou musical dont il sait que la nouveauté frappera – et ce sont ces pages, toujours artistiquement achevées, que l'on recherche de préférence aujourd'hui : le commentaire brillant, sinon original, de « Tristan et Iseult » dans le Triomphe, par exemple, les jardins secrets du château des Cantelmo dans Les Vierges aux rochers ou les descriptions de Venise et de sa lagune dans Le Feu.

La Duse amènera D'Annunzio au théâtre et l'aidera à réaliser ses rêves sur la scène. Il a sa conception à lui du drame : rompre avec l'esprit bourgeois ; opposer, comme un Ibsen ou un Sudermann, à la morale commune la loi de l'homme qui renverse les obstacles pour aller à la découverte de sa vérité. Il rêve, comme Wagner, de renouveler la tragédie antique, dont Nietzsche avait analysé l'origine, mais il reproche au maître de Bayreuth d'avoir noyé le verbe dans la musique : aussi son idéal est-il Monteverdi. Seules connaîtront le succès celles de ses pièces qui s'accommodent de cette conception : Francesca da Rimini (1901), long chant d'amour où la narration l'emporte sur l'action, le lyrisme sur le drame, ou La Figlia di Iorio (La Fille de Jorio, 1903), tragédie pastorale au cœur des Abruzzes, parmi des êtres superstitieux et impulsifs, véritable poème d'une race, composé sur un rythme de chanson populaire parfaitement adapté au sujet : c'est la meilleure pièce de D'Annunzio, fréquemment jouée et toujours applaudie. On ne saurait en dire autant de La Città morta (1898) et de La Gloria (1899) : la prose rythmée, musicale, de ces drames n'est pas faite pour la scène. Quant aux protagonistes, encore que ces surhommes soient en définitive les jouets du destin et des vaincus, leur justification de l'acte pur, leur exaltation du crime n'ont jamais recueilli l'adhésion du public.

Louanges du ciel, de la mer, de la terre et des héros

Les Laudi devaient comprendre sept livres, chacun portant le nom d'une des Atlantides. Seuls Maia (1903), Electra (1904), Alcyone (1903) et Mérope (1912) ont été écrits. Sous le titre d'Astérope, un cinquième recueil réunit, sur les indications laissées par le poète, Les Hymnes sacrés de la guerre juste.

Dix ans s'écoulent entre le Poème paradisiaque et le premier livre de ces Laudi, qui sont comme « l'éclosion d'une poésie supra-humaine ». Éloigné de la foule, le poète ne chante plus ni le désir de l'homme, ni la grâce des femmes. L'histoire, la mythologie, la nature fournissent désormais la matière de ses[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, directeur honoraire du centre d'études supérieures et du lycée français de Rome

Classification

Pour citer cet article

Pierre de MONTERA. D'ANNUNZIO GABRIELE (1863-1938) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Gabriele D’Annunzio - crédits : Lebrecht Authors/ Bridgeman Images

Gabriele D’Annunzio

Autres références

  • CRÉPUSCULAIRES LES

    • Écrit par Norbert JONARD
    • 1 368 mots
    • 1 média

    En 1910, le critique italien Giuseppe Antonio Borgese a qualifié, non sans ironie, de « crépusculaire » la poésie d'un groupe de jeunes écrivains de son pays qui n'avaient « qu'une émotion à chanter : la trouble et limoneuse mélancolie de n'avoir rien à dire ni à faire ». Après avoir brillé de tout...

  • DUSE ELEONORA (1858-1924)

    • Écrit par Universalis
    • 923 mots

    Actrice italienne qui trouva ses meilleurs rôles chez deux grands dramaturges européens : l'Italien Gabriele D'Annunzio et le Norvégien Henrik Ibsen.

    Née à Vigevano, en Lombardie, le 3 octobre 1858, la Duse, issue d'un milieu d'acteurs, fit ses débuts au théâtre à l'âge de quatre ans dans...

  • ITALIE - Histoire

    • Écrit par Michel BALARD, Paul GUICHONNET, Jean-Marie MARTIN, Jean-Louis MIÈGE, Paul PETIT
    • 27 498 mots
    • 40 médias
    ...Saint-Germain-en-Laye, avec l'Autriche (10 sept. 1919), attribue à l'Italie Trieste et l'Istrie, et le Trentin jusqu'au col du Brenner. L'amertume est grande, et D'Annunzio, chef de file des nationalistes, dénonce la « victoire mutilée ». Les élections de 1919 donnent la majorité aux socialistes et aux catholiques...
  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par Dominique FERNANDEZ, Angélique LEVI, Davide LUGLIO, Jean-Paul MANGANARO
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...vingt premières années du Novecento sont une période de transition, elles constituent aussi un formidable creuset de propositions poétiques novatrices. Gabriele D’Annunzio et Giovanni Pascoli représentent, à différents titres, le passage du xixe au xxe siècle, ne serait-ce que pour l’influence qu’ils...

Voir aussi