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FIDES

« Numa, écrit Tite-Live, n'institua de cérémonie annuelle qu'en l'honneur de la seule Fides ; il enjoignit aux flamines de se rendre à son sanctuaire sur un char à deux chevaux et de célébrer le culte la main enveloppée jusqu'au bout des doigts, afin de signifier que la bonne foi doit être protégée et que son siège est sacré jusque dans la main droite. » Bien entendu, le crédit que fait l'historien romain (I, 20) au légendaire roi Numa de l'institution du culte de Fides n'a rien d'historique ; il n'en reste pas moins que cette brève mention exprime de façon très complète la théologie sous-jacente à ce culte.

Remarquons tout d'abord que la divinité honorée ici ne se différencie en rien du concept que dénote le mot « fides » : le « respect contraignant de la parole donnée », sanctionné par le geste qui consiste à tendre sa main droite au partenaire ; c'est là précisément l'objet du culte institué par Numa. Le geste rituel par lequel on se lie juridiquement engage la divinité même qu'honorent les flamines. Les deux aspects, juridique et religieux, de la notion sont indissociables : si les célébrants de ce culte doivent avoir la main droite enveloppée de bandelettes, c'est pour rappeler qu'elle est le siège d'une véritable puissance divine. Pour un Romain, il n'y a pas de différence entre le concept qui règle les rapports entre groupes sociaux ou individus, d'une part, et le dieu qui garantit la validité de ces rapports, d'autre part.

En second lieu, bien que la garantie des contrats soit un aspect fondamental de la souveraineté, le culte institué ici intéresse l'ensemble du corps social. Fait exceptionnel à Rome, les trois flamines majeurs le célèbrent conjointement, sans qu'apparemment aucun d'entre eux jouisse d'une quelconque prééminence sur les deux autres. C'est qu'il ne s'agit pas d'une « croyance », mais de la confiance assurée que doit recevoir tout engagement contractuel. Qu'il s'agisse d'exercer le pouvoir royal, de faire la guerre ou d'assurer le bien-être de la société, cette confiance est indispensable pour fonder les rapports sociaux. Mais, comme la validité de cette confiance relève de l'exercice éminent de la fonction de souveraineté, le roi, légendairement responsable de toute législation religieuse et civile, s'est vu attribuer l'institution de son culte. Diviniser la fides, c'était proposer la représentation religieuse du principal ressort de la société romaine.

Au demeurant, les Romains ont usé de ce ressort, au cours de l'histoire, pour contraindre les vaincus. La formule de toute reddition exigeait qu'on s'en remît à la fides du vainqueur, c'est-à-dire qu'on acceptât de se lier sans réserve à ses volontés. L'engagement que supposait la fides mettait le partenaire à votre discrétion. Comme Polybe l'explique à plusieurs reprises, ce fut l'occasion de bien des déceptions pour des vaincus illustres qui s'imaginèrent que, sur le modèle du grec pistis, la fides romaine impliquait la confiance qu'on pouvait faire au vainqueur ; ils apprirent à leurs dépens qu'il s'agissait de tout autre chose, en l'espèce d'une contrainte juridique que le ciel garantissait. La fides n'avait pas son siège sacré dans la seule main droite des Romains, mais surtout dans celle de leurs vassaux.

Avec le développement du christianisme, fides devint pourtant l'équivalent du grec pistis et désigna la « croyance » religieuse. Mais cet emploi, qui a donné naissance à la notion moderne de « foi », resta circonscrit aux croyances chrétiennes, les seuls chrétiens étant eux-mêmes responsables de l'acception.

— Jean-Paul BRISSON

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