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KAZAN ELIA (1909-2003)

L'héritier de la « méthode »

1946 marque un tournant dans sa carrière : cette année-là, il fonde l'«  Actor's Studio », école où sont enseignées les thèses de Stanislavski, et pépinière d'acteurs pour le cinéma des années cinquante (Montgomery Clift, Marlon Brando, James Dean, Karl Malden, Antony Quinn, Paul Newman, Warren Beatty y ont été formés) ; en outre, il réalise pour la Fox son premier long métrage, Le Lys de Brooklyn.

À partir de 1946 se succèdent ses mises en scène de théâtre les plus importantes : Kazan travaille à la fois sur le théâtre social d'Arthur Miller (All my Sons, en 1947 ; Mort d'un commis voyageur, en 1949) et sur le théâtre psychanalytique de Tennessee Williams (Un tramway nommé Désir, en 1947, La Chatte sur un toit brûlant, en 1955, Doux Oiseau de la jeunesse, en 1959), qui influera sur ses grands films. En 1960, il laisse à Lee Strasberg la direction de l'Actor's Studio. Sa dernière mise en scène date de 1964 (After the fall, de Miller).

Au cinéma, on compte peu d'œuvres marquantes dans cette première période : à l'exception du Maître de la prairie (1947), réalisé pour la M.G.M., tous ses films sont alors tournés à la Fox : Boomerang (1947), Le Mur invisible (1948), L'Héritage de la chair (1949). Ces films – réalisés en studio – se caractérisent par une mise en scène encore mal dégagée des habitudes du théâtre (abondance de plans arrêtés et de gros plans) et par un désir de traiter les « grands problèmes humains » (l'antisémitisme dans Le Mur invisible, le racisme dans L'Héritage de la chair). En 1950 sort Panique dans la rue, le premier film de Kazan qui soit réellement pensé pour le cinéma. Il s'agit d'un film noir tourné en décors naturels (auxquels, dès lors, Kazan ne renoncera jamais), utilisant des plans éloignés et des mouvements de caméra longs et complexes. En 1952, Kazan réalise Un tramway nommé Désir : cette adaptation de la pièce de Tennessee Williams est aussi le premier rôle important de Marlon Brando au cinéma. Les thèmes de Kazan sont déjà présents dans ce film : personnages complexes aux réactions imprévisibles (Kazan admire Dostoïevski), ambiguïté des rapports humains (rapports d'attirance et de répulsion mutuelles entre Stanley-Brando et Blanche-Vivien Leigh), problèmes sexuels, solitude, folie.

Sur les quais, E. Kazan - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Sur les quais, E. Kazan

En 1952 se produit une rupture dans la vie de Kazan, faille qui rendra son œuvre postérieure riche et complexe. En plein maccarthisme, il donne à la Commission des activités antiaméricaines le nom de plusieurs artistes communistes. Ce geste, sans conséquence directe, puisque ces noms étaient déjà connus, revêt aux yeux de Kazan une valeur symbolique : c'est pour lui l'instant de la rupture avec son passé, avec la fidélité aveugle à son ancien parti. Longtemps mal interprétée, cette attitude est significative des déchirements et des ambivalences du cinéaste. Trois films importants datent de cette période : Viva Zapata (1952), Man on a Tightrope (inédit en France), et Sur les quais (1954). Viva Zapata et Sur les quais sont restés célèbres grâce aux saisissantes interprétations de Marlon Brando. On peut encore leur reprocher une thématique un peu lourde (dans Viva Zapata, l'impossibilité pour un chef d'État de rester fidèle aux idéaux révolutionnaires qui l'ont porté au pouvoir ; dans Sur les quais, la trahison par fidélité à soi-même), mais ils contiennent les premières grandes scènes lyriques de l'œuvre de Kazan : le retour du cheval blanc de Zapata, la mort de Zapata, ou la rencontre sur un toit, auprès d'un pigeonnier, entre le docker Terry Malloy (Marlon Brando) et celle qu'il aime (Eva Marie-Saint).

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, agrégé de lettres modernes, éditeur

Classification

Pour citer cet article

Christophe MERCIER. KAZAN ELIA (1909-2003) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Sur les quais, E. Kazan - crédits : Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Sur les quais, E. Kazan

Baby Doll, Elia Kazan - crédits : Warner Bros/ The Kobal Collection/ Picture Desk

Baby Doll, Elia Kazan

Autres références

  • UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, film de Elia Kazan

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 907 mots

    « Je voyais une femme assise sur une chaise, en train d'attendre vainement quelque chose, peut-être l'amour » : cette image fournit à Tennessee Williams le point de départ de l'écriture de sa pièce – il utilisa d'ailleurs comme titre de travail Blanche's Chair on...

  • ACTORS STUDIO

    • Écrit par Ivan MAGRIN-CHAGNOLLEAU
    • 1 432 mots
    • 1 média

    L’Actors Studio a été fondé en 1947 par Elia Kazan, Cheryl Crawford, et Robert Lewis. Après les avoir rejoints en 1948, Lee Strasberg en est devenu le directeur artistique et la figure centrale jusqu’à sa mort, en 1982.

    Il s’agit au départ d’un laboratoire de comédiens, c’est-à-dire d’un...

  • BRANDO MARLON (1924-2004)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 646 mots
    • 1 média
    Le triomphe de la pièce Un tramway nommé Désir, en 1947, consacre l'avènement du dramaturge Tennessee Williams,confirme le metteur en scène Elia Kazan et fait de Marlon Brando une légende et un porte-drapeau : il y est à jamais Stanley Kowalski, brute épaisse étrangement séduisante en tee-shirt...
  • DEAN JAMES BYRON (1931-1955)

    • Écrit par Christian VIVIANI
    • 1 392 mots
    • 1 média
    Elia Kazan le remarque et l'engage pour tourner sous sa direction dans À l'est d'Eden (East of Eden, 1955). Bien qu'inconnu à Hollywood, James Dean suscite la curiosité, puis l'intérêt, de la presse spécialisée, alors que des teenagers déjà conquis suivent ses amours malheureuses...
  • MALDEN KARL (1912-2009)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 768 mots

    Quoique de grande taille et mince, Karl Malden n'a jamais attiré l'attention par sa silhouette. En revanche, son visage, tête ronde aux cheveux clairsemés, percée de deux yeux ronds bleu clair mobiles et rieurs, est inoubliable à cause de la forme singulière de son nez, consécutive, nous dit son autobiographie,...

Voir aussi