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POE EDGAR ALLAN (1809-1849)

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Poe et le septième art

L’œuvre d’Edgar Poe autant que sa figure constituent une source importante du cinéma d’horreur, gothique ou fantastique. Poe est en effet l’un des auteurs les plus adaptés à l’écran, un phénomène qui reste d’actualité. « William Wilson » est mis en scène sous le titre L’Étudiant de Prague (1913), d’abord par un cinéaste d’origine danoise, Stellan Rye, puis par Henrik Galeen en 1926. En ce qui concerne la production hollywoodienne, on peut évoquer trois vagues principales d’adaptations inspirées par Poe, ou proposant des adaptations de son œuvre, jusqu’aux années 1960. La première concerne les courts et longs-métrages muets de 1909 à 1915. On compte une quinzaine de films pendant cette période dont La Conscience Vengeresse (D. W. Griffith, 1914), mais plusieurs sont perdus dont celui de 1912, The Raven, qui reposait sur une série de rêves inspirés de divers récits de l’écrivain.

La Chute de la maison Usher (1928) de Jean Epstein représente une œuvre majeure du cinéma muet qui associe les motifs de plusieurs contes, Roderick Usher (Jean Debucourt) devenant ici le peintre du « Portrait ovale ». Le cinéaste développe une esthétique d’avant-garde, qui met l’accent en particulier sur la composition picturale de l’image et la photogénie (travail du gros plan de visages ou d’objets, surimpressions, angles de prises de vues), mais aussi le rythme (les ralentis) et le montage, et repose sur une rhétorique de la répétition. L’écrivain et le cinéaste ont ici la même volonté de transgresser les limites, d’établir des relations entre l’animé et l’inanimé, la vie et la mort, l’organique et le mécanique. Leur entreprise fondamentale tend à l’exploration de la dimension temporelle, dans sa diversité et son ambivalence.

La deuxième période coïncide avec l’âge d’or du cinéma d’horreur, les années 1930, et en particulier les productions du studio Universal qui se spécialise dans ce genre après les succès de Dracula (Tod Browning, 1931) et de Frankenstein (James Whale, 1931). La stratégie est différente. L’approche biographique est abandonnée. Les studios exploitent l’image de Poe et les titres de ses récits et en utilisent certains motifs comme celui du chat, du miroir ou encore de la femme associée à la mort. Les cinéastes exploitent aussi la popularité d’un couple vedette, Bela Lugosi et Boris Karloff, dans Le Chat noir (Edgar G. Ulmer, 1934) et Le Corbeau (Lew Landers, 1935). Ces œuvres produites pour la plupart pendant la période qui précède le code d’autocensure du cinéma américain (1934-1968) – dit code Hays – comportent des audaces thématiques, exploitant en particulier le motif du savant fou, absent chez Poe. Le caractère obsessionnel, la perversité, les situations extrêmes ne sont cependant pas si éloignés de l’univers poesque. Ainsi, dans Le Corbeau, Bela Lugosi tient le rôle d’un chirurgien admirateur de l’écrivain. Il déclame ses poèmes et reconstitue dans sa maison certains des dispositifs de torture du Puits et le pendule, en particulier le pendule meurtrier.

<em>Double Assassinat dans la rue Morgue</em>, R. Florey - crédits : Everett Collection/ Aurimages

Double Assassinat dans la rue Morgue, R. Florey

Dans Double Assassinat dans larue Morgue (1932), Robert Florey emprunte plusieurs éléments au récit originel de Poe. D’abord le couple formé par le singe et le dresseur, dont le rôle est profondément transformé. Ensuite le personnage de Pierre (et non Auguste) Dupin, étudiant en médecine devenant enquêteur, mais aussi victime soupçonnée de meurtre et fiancé de Camille de l’Espanaye (une intrigue amoureuse qui a peu à voir avec le Dupin poesque). Deux épisodes sont transposés, avec des modifications sensibles. Le double meurtre de la mère et de sa fille est ici réduit à celui de la mère, perpétré par un singe intelligent manipulé par son maître. Camille est enlevée à des fins d’expérimentation, plus précisément l’inoculation du sang de primate après les échecs d’expériences pratiquées sur des[...]

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Pour citer cet article

Gilles MENEGALDO. POE EDGAR ALLAN (1809-1849) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Edgar Allan Poe - crédits : C.T. Talman/ Library of Congress, Washington, D.C.

Edgar Allan Poe

<em>Double Assassinat dans la rue Morgue</em>, R. Florey - crédits : Everett Collection/ Aurimages

Double Assassinat dans la rue Morgue, R. Florey

<em>Le Corbeau</em>, E. Manet - crédits : Heritage Art/ Heritage Images/ Getty Images

Le Corbeau, E. Manet

Autres références

  • HISTOIRES EXTRAORDINAIRES, Edgar Allan Poe - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 991 mots
    • 1 média

    Le recueil publié par le poète et conteur américain Edgar Allan Poe (1809-1849) en 1840, sous le titre de Tales of the Grotesque and the Arabesque, comprenait vingt-cinq nouvelles. Charles Baudelaire y ajouta une vingtaine d'autres contes, qu'il traduisit et préfaça pour obtenir le recueil...

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    Cinéaste et producteur américain, Roger Corman a réalisé une cinquantaine de films, généralement de « genre » et à petit budget, et en a produit près de quatre cents. Il a mis en scène son dernier film en 1990, mais a continué à produire jusqu’à sa mort. Un oscar d’honneur lui a été attribué en 2010....

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  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature

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    À sa manière, un écrivain a traduit plus profondément encore ces inquiétudes : Edgar Allan Poe. Né à Boston, en Nouvelle-Angleterre, fils d'un comédien itinérant, il n'est sudiste que d'adoption. « La terreur », disait-il en faisant allusion aux thèmes « gothiques » qu'il avait empruntés à la littérature...
  • GOTHIQUE LITTÉRATURE & CINÉMA

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    ...aussi en relief le paysage américain, en particulier la wilderness associée à un espace infernal et archaïque dans Young Goodman Brown. De son côté, dans les nouvelles réunies en recueil après sa mort (Tales of Mystery and Imagination et Tales of the Grotesque and the Arabesque), Edgar Allan Poe intériorise...
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