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DISTRIBUTIONNALISME

Le débat avec la linguistique générative

Si l'analyse distributionnelle a pu s'imposer comme le préalable indispensable de l'analyse linguistique en vue d'un premier dégrossissage des formes phoniques et morpho-syntaxiques (notamment s'agissant d'une langue inconnue), cette procédure empirique n'en a pas moins montré certaines limites et suscité des critiques, en particulier de la part de Noam Chomsky dès les années 1950. Selon ce dernier, un corpus – nécessairement fini – ne permet pas de rendre compte du mécanisme « génératif » qui sous-tend l'infinité des phrases possibles d'une langue. Un tel mécanisme n'étant pas un objet empiriquement observable, la méthode doit, selon Noam Chomsky, être de nature hypothético-déductive et se fonder sur l'intuition qu'a le sujet de sa langue, au lieu de procéder inductivement à partir de l'observation.

Nonobstant ces critiques, c'est dans la perspective méthodologique du distributionnalisme qu'ont été conduites, dans la seconde moitié du xxe siècle, deux entreprises majeures en matière de description cumulative et exhaustive de phénomènes syntaxiques : celle de Zellig Harris sur l'anglais et celle de Maurice Gross (1934-2001) sur le français. Le premier, s'intéressant dès le début des années 1950 à l'« analyse du discours », en est venu à proposer à la fin des années 1960 un modèle grammatical d'ensemble, où la notion clé de « transformation » (entendue dans un sens non génératif) permet à la fois de décrire les relations entre phrases au sein du discours et de décomposer les phrases complexes en phrases élémentaires. En 1982, son ouvrage A Grammar of English on Mathematical Principles synthétise dans cette perspective l'ensemble des constructions syntaxiques de l'anglais. Maurice Gross, pour sa part, a conduit depuis les années 1970 un travail d'équipe (Méthodes en syntaxe, 1975) consacré à l'étude systématique de l'ensemble des constructions syntaxiques du français, en vue de l'élaboration d'un grand « lexique-grammaire » comportant pour chaque terme (verbe, nom, adjectif...) l'indication de toutes ses possibilités d'emploi.

Par la suite, l'héritage du distributionnalisme s'est trouvé en partie réinvesti, sous des formes diverses, dans plusieurs secteurs de la linguistique. C'est le cas pour les « linguistiques de corpus » – domaine totalement renouvelé par le développement des ressources numérisées et des techniques de traitement automatique de la langue – comme pour les linguistiques textuelles, centrées notamment sur la question de la cohérence et de la cohésion du discours. Par ailleurs, on ne s'étonnera pas de voir resurgir actuellement, sur le terrain des sciences cognitives, la problématique dite de la « relativité linguistique » (ou relativité des modes de représentation du monde selon les langues et les cultures), soulevée par les pionniers ethno-linguistes que furent Edward Sapir ou Benjamin Lee Whorf, en lien avec l'émergence même du distributionnalisme.

— Catherine FUCHS

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Pour citer cet article

Catherine FUCHS. DISTRIBUTIONNALISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BLOOMFIELD LEONARD (1887-1949)

    • Écrit par C.-H. VEKEN
    • 812 mots

    Homme réservé, à la personnalité austère et entière, L. Bloomfield marqua de façon déterminante le développement de la linguistique aux États-Unis et dans le monde. Né à Chicago, il étudia la grammaire et la philologie germanique à Harvard et, après avoir passé un an en Allemagne, où...

  • CONSTITUANT IMMÉDIAT

    • Écrit par Robert SCTRICK
    • 283 mots

    Lorsqu'on souhaite segmenter un énoncé en unités plus petites et ainsi de suite jusqu'à des éléments indécomposables, les morphèmes, on est conduit à user de procédures purement formelles qui permettent de décomposer l'ensemble et chaque sous-ensemble obtenu en sous-ensembles de rang immédiatement...

  • CORPUS, linguistique

    • Écrit par Robert SCTRICK
    • 309 mots

    Ensemble homogène et significatif de données linguistiques observées et à partir desquelles pourra s'élaborer la théorie. La notion de corpus est évidemment fondamentale dans la linguistique structurale : désireuse de substituer à la normativité de la grammaire ou aux fondements pseudo-logiques...

  • DÉTERMINANT, linguistique

    • Écrit par Robert SCTRICK
    • 611 mots

    On appelle déterminants une catégorie d'éléments linguistiques ayant pour fonction de se rapporter syntaxiquement au nom, avec lequel ils forment l'essentiel du syntagme (ou groupe) nominal. Du point de vue logique, leur rôle est d'actualiser le substantif en l'insérant dans la...

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