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CYNISME

Cynisme : la philosophie n'a pas fait un concept pondéré de ce terme abstrait qui désigne une réalité aussi opaque que l'idée est immédiatement polémique. Comme l'indique son étymologie, c'est à l'histoire de la philosophie pourtant que l'on est d'abord renvoyé. Emprunté au latin de basse époque cynismus et dérivé du grec κυνισμ́ος, il sert de nom abstrait à κυνικ́ος, « qui appartient à l'école cynique » et « qui concerne le chien ». Cette école était ainsi appelée parce que ses adeptes avaient du chien la vigilance hargneuse et que d'autre part ils se réunissaient au lieu dit τ̀ο Kυν́οσαργες, « le chien agile ». En l'occurrence, les documents sont rares et les témoignages contradictoires. Il reste que la doxographie présente moins un corps de doctrine qu'une suite de personnages dont la légendaire impertinence et la pertinence des attitudes qui lui donnent sens prêtent à sourire mais aussi à penser. Au substantif cynisme se substitue donc d'entrée de jeu la dénomination cyniques ou le qualificatif cynique qui désigne une manière de vivre.

Des brèches sur le naturel

Le cynique, peu ou prou et à des titres divers, affecte de braver les convenances ; selon les figures historiques ou quotidiennes auxquelles on se réfère, il fera montre de l'austérité ou de l'impudeur la plus excessive, de l'impudence la plus retorse ou sentencieuse. On se rappelle Diogène de Sinope (413-327 av. J.-C.), le plus populaire des cyniques, ses bons mots, ses excentricités ; homme-chien au seuil de son tonneau, hargneux et affichant son mépris pour Alexandre maître dieu. Multiplicité d'images dont le cynisme à travers les temps conserve les traits les plus distinctifs, les améliorant au gré des situations qu'il provoque et qui le provoquent : insolence persuasive qui plus qu'elle ne convainc suggère par des formules quasi publicitaires. Argumente-t-il, le cynique va jusqu'à se substituer à son adversaire, assumant les deux rôles tour à tour en une diatribe subversive et endiablée ; cette intolérance railleuse exploite au maximum le mordant d'une situation, dévoilant à tombeau ouvert la dérision, le caractère conventionnel des critères par rapport auxquels se déterminent les jugements de valeur qui, dès lors, apparaissent comme autant d'opinions désossées, de préjugés, de conformismes apeurés et d'intérêts dévoyés. Du mépris des vices puis des convenances au mépris des bienséances, des mœurs, puis des hommes qu'il déboute massivement de leur appel en justice et en grâce, le cynisme se propose avant tout d'ouvrir des brèches sur le naturel, par une action toujours violente, ne serait-elle que verbale, et apparemment gratuite. Mode d'action éminemment problématique aux yeux des morales de la raison, du sentiment, et des morales du plaisir et de l'intérêt mêmes. Mode d'action qui ne se réfère, semble-t-il, qu'à lui-même et ne trouve de justification que dans le style de vie qu'il engendre et implique.

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, assistant au département de philosophie de l'université de Poitiers

Classification

Pour citer cet article

Henri WETZEL. CYNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...socratiques. La plupart d'entre eux, encore moins soucieux que Socrate de philosopher sur la nature, ont renchéri sur sa critique de la société et des mœurs. C'est même par une protestation spectaculaire contre le conformisme que se sont signalés les plus célèbres d'entre eux, les cyniques, dont le plus connu...
  • ANTISTHÈNE (env. 440-env. 370 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre HADOT
    • 232 mots

    Disciple de Socrate et maître de Diogène le Cynique, Antisthène, comme le firent un peu plus tard les mégariques, considérait le langage discursif comme étant incapable de décrire adéquatement la réalité concrète des unités individuelles. On ne peut dire « un homme est bon », mais seulement « le...

  • ASCÈSE & ASCÉTISME

    • Écrit par Michel HULIN
    • 4 668 mots
    • 1 média
    ..., 64 a), c'est-à-dire que l'on s'efforce de vivre dans le seul exercice de l'intelligence, en refoulant les sensations confuses qui émanent du corps. Quant à la seconde tradition, elle se manifeste avec éclat chez les premiers représentants de l'école cynique, Antisthène et Diogène de Sinope....
  • DIOGÈNE LE CYNIQUE (413-327 av. J.-C.)

    • Écrit par Barbara CASSIN
    • 396 mots

    Diogène de Sinope, du nom de sa ville natale sur la mer Noire, est plus connu sous le sobriquet de Chien (Aristote, Rhétorique, 1411 a 24), qui le désigne comme fondateur de la secte cynique. Il mourut à Corinthe, qui lui consacra une colonne surmontée d'un chien, tandis que ses concitoyens lui élevaient...

  • Afficher les 7 références

Voir aussi