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CRITIQUE D'ART

Critique d'art et littérature

Charles Baudelaire , Nadar - crédits : Nadar/ Hulton Archive/ Getty Images

Charles Baudelaire , Nadar

Avant la véritable « invention » par Baudelaire d'une « pensée » du peintre (« cette peinture, écrit-il de Delacroix, jette sa pensée à distance »), échappant sans doute pour la première fois à des normes d'expression, la grande critique de Diderot s'est constituée dans sa majeure partie (exception faite des pages sur Chardin, écrites comme une sorte de commentaire de l'effet, du rendu, du naturel) comme une critique du sujet : il y a une rhétorique du sujet à quoi correspond la pensée et qui doit obéir à un double système de figures d'expression et de figures de construction. C'est ainsi, dans le Salon de 1761, que Diderot corrige le Jugement de Pâris de J. B. Pierre en définissant une autre mise en scène et d'autres caractères (la composition est une combinaison de caractères). Lorsque la mise en scène n'est pas bonne, tout se passe comme si le critique ne pouvait ajouter son discours au geste des acteurs : « Toute composition dont on s'en tient à nommer le sujet, sans ajouter ni éloge ni critique, est médiocre. C'est bien pis quand on cherche le sujet et qu'après l'avoir appris et deviné on s'en tient à dire, comme devant La Guérison miraculeuse de saint Roch (A. Van Loo) : « C'est un pauvre assis à terre, vis-à-vis d'un ange qui lui dit je ne sais quoi. » Dominée par une idée de la représentation, du théâtre figuratif, cette littérature a aussi explicité sur un objet qui l'innocentait ce qu'était, en sa figurabilité, la littérature.

La critique d'art n'a pas d'appareil scientifique ; elle n'a pas non plus d'histoire, sinon comme idéologie, puisqu'elle est entièrement prise comme alibi de l'écriture et – singulièrement – comme alibi de substance : on ne peut aborder son histoire, que comme le dehors, violemment enfermé, de la littérature et de l'histoire de l'art. Nom d'une pratique sans concepts et qui est incapable de par son inféodation à un objet surinvesti de produire une méthode ou des concepts, elle dépend donc (et s'inscrit dans cette dépendance) de l'idée que la littérature est une instance compétente pour se prononcer sur un objet « plastique » ; au titre, précisément, où l'on aborde toujours en l'espèce une pensée enfouie, produite au sens même de la représentation par un véritable « acte de dénégation » ; « il y a des auteurs qui pensent ; il y a des peintres qui ont de l'idée » (Diderot).

En dernière analyse, et s'il fallait en tenter une définition en dehors de l'histoire de l'art ou d'une sémiotique, on pourrait dire que la critique d'art ne relève pas d'une science ou d'une pratique théorique, qu'elle ne situe donc pas son objet déclarativement comme objet de connaissance, mais le considère en tant qu'il relève d'une pratique de l'interprétation.

— Jean Louis SCHEFER

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Jean Louis SCHEFER. CRITIQUE D'ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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Charles Baudelaire , Nadar - crédits : Nadar/ Hulton Archive/ Getty Images

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