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CRITIQUE D'ART

Iconologie

Cette pratique de la description, du jugement, n'est en fait possible que parce que la critique d'art (de par son statut extérieur, cette critique est aussi un genre littéraire) est supposée apporter à l'œuvre le supplément qui lui fait défaut ; comme si à l'œuvre il fallait – pour compenser la résorption du sens dans l'effet pictural – ajouter le texte dont elle est l'absence et la sollicitation ; ainsi s'explique l'institution des « salonniers » pendant deux siècles de peinture, relayant celle des académies. Cette apparente naïveté est encore celle de Diderot déclarant que ce qui accroît le mérite de Chardin est le grand talent avec lequel il parle de son art. Et cette théorie du sens « supplémentaire » a sans doute été le plus justement formulée par Panofsky, faisant ainsi de lui le grand théoricien de cette critique d'art.

La méthode interprétative, dont la critique d'art représente une utilisation et, si l'on veut, une définition « sauvage », est illustrée de façon exemplaire dans l'article de Panofsky sur le Sol justitiae de Dürer (« Dürers Stellung zur Antike », Vienne, 1922). La gravure de Dürer est caractérisée par sa possibilité de permutation à l'intérieur d'un champ iconographique dessiné par l'iconographie allemande de la fin du xive siècle ; les mêmes traits sont présents dans l'iconographie islamique, dans les représentations astrologiques et dans les dictionnaires d'iconologie (il est aussi à observer que la critique d'art a succédé à ces dictionnaires qui, comme l'Iconologiade Ripa, donnaient à la fois les règles de la figuration et de l'interprétation). Panofsky en tire la conclusion que « l'imagination de la fin du Moyen Âge est fortement marquée par la littérature apocalyptique et par l'astrologie gréco-arabe » ; le champ iconologique à l'intérieur duquel on peut interpréter Dürer ne voit plus le Soleil dans l'Hélios apollinien de l'antiquité préchrétienne, mais sous la forme d'un démon astrologique posant la figure du Juge de l'Univers. La lecture de la gravure se fera donc littéralement, selon un texte qui détient finalement le sens de la représentation. Toutes les représentations se lisent les unes dans les autres, parce qu'elles sont co-occurrentes dans le champ qu'elles définissent et que chacune d'elles est prescriptible par rapport à toutes les autres. En dernière instance, ce qui sera donc caractéristique de Dürer, ce sera son génie, soustraction faite d'un sens qui n'apparaît que dans la lecture iconologique correcte. L'histoire n'est ici que le terrain sur lequel les représentations apparaissent et où, n'étant jamais isolées, elles suturent des champs iconologiques au fond des espaces de la signification : le seul système dont relèvent les arts plastiques n'est jamais qu'un système de l'interprétation, qui doit reconstruire pour chaque représentation un domaine iconologique à peu près exhaustif. Le champ ainsi délimité se caractérise, par une sorte d'équation d'équivalence, c'est-à-dire qu'il n'est jamais conçu comme le champ d'une production idéologique : il est entièrement saturé par des fonctions d'interfigurabilité de tous les termes qui le définissent. Et c'est exactement ce dont la critique d'art se fait la pratique sans concept ; en ce sens – à la fois par la définition de facto d'un champ d'interprétation et par la postulation d'une supplémentarité du sens – Panofsky a pu reconnaître en Galilée un critique d'art dans les lettres où ce dernier juge les poèmes du Tasse en fonction d'une technique picturale (perspectives, anamorphoses), avec le postulat sous-jacent de l'ut pictura[...]

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Pour citer cet article

Jean Louis SCHEFER. CRITIQUE D'ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Charles Baudelaire , Nadar - crédits : Nadar/ Hulton Archive/ Getty Images

Charles Baudelaire , Nadar

Autres références

  • CRITIQUE D'ART, Antiquité gréco-romaine

    • Écrit par Agnès ROUVERET
    • 4 815 mots

    Appliquer au monde antique le concept de critique d'art se révèle une tâche délicate en raison des conditionnements, hérités en grande partie du xixe siècle, qui tendent à faire prendre à tort pour naturelles et obvies des catégories comme celles d'artiste, d'œuvre d'art ou de critique. Dans...

  • CRITIQUE D'ART EN FRANCE AU XIXe SIÈCLE

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 6 622 mots
    • 5 médias

    La critique d'art est un « genre littéraire autonome qui a pour objet d'examiner l'art contemporain, d'en apprécier la valeur et d'influencer son cours ». Cette définition – donnée par Albert Dresdner en 1915 dans son ouvrage Die Kunstkritik et adoptée par Pierre...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
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    ...alors que maints amateurs sincères ne voyaient littéralement pas les « motifs » transcrits sur leurs toiles par les peintres impressionnistes, le critique Théodore Duret défend jusqu'aux ultimes limites alors concevables l'absolue indépendance de l'image et de la peinture. Son article consacré...
  • ACADÉMIES

    • Écrit par Nathalie HEINICH
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    ...de marquer la rupture avec l'univers artisanal et commercial. Ces salons, longtemps réservés aux seuls académiciens, entraînèrent l'apparition d'une forme particulière de littérature artistique : la critique d'art, dont Lafont de Saint-Yenne fut le premier représentant et Diderot, le plus illustre.
  • ALLOWAY LAWRENCE (1926-1990)

    • Écrit par Universalis
    • 735 mots

    Conservateur et critique d'art américain d'origine britannique, Lawrence Alloway a publié de nombreux essais sur l'art populaire. Il est à l'origine dans les années 1950 du terme « pop art » désormais commun, qui désigne aujourd'hui l'« art concernant la culture populaire » et non, comme il le...

  • ART (L'art et son objet) - Le faux en art

    • Écrit par Germain BAZIN
    • 6 715 mots
    La collaboration de la critique d'art et de l'érudition est en effet essentielle dans la genèse du faux. Un des étonnements du public, lorsque éclate une affaire de faux, est de constater les incertitudes des spécialistes. Il est de fait que les plus grands experts du xxe siècle, le docteur...
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