CRÉATION La création dans les synthèses philosophico-religieuses
Perspectives : Création ou créativité
Si différentes soient-elles, les spéculations, théologiques et philosophiques, sur l'origine ont cependant un air de famille. Une interrogation commune les unit, et leur problématique même risque de les éloigner toutes de nous. Il importe donc de préciser les traits qui leur sont communs, afin de comprendre les réticences qu'elles peuvent faire lever aujourd'hui dans la plupart des esprits.
La structure générale de la question est aisément reconnaissable sous ses variantes culturelles. Il s'agit toujours, une fois postulé l'« agir créateur », d'en déterminer le principe, le terme et la modalité. On présuppose donc qu'il faille s'interroger sur l'existence des choses, préalablement constituées en un tout qu'on appelle monde ou univers, en vue de rendre raison de cette existence par une Archè (principe et commencement), dont la nature mystérieuse relance la question initiale : comment l'Absolu est-il devenu principe ? La question de l'origine débouche finalement sur un ineffable, qui est à la fois limite de la raison et limite du langage. Mais en deçà de la question elle-même, on devine une sensibilité fondamentale, douloureusement consciente d'une brisure ou d'une rupture, comme si les choses, avant leur « naissance », avaient un « meilleur être » et comme si, finalement, il valait mieux n'être pas né : l'existence ne serait-elle pas cette distance qui nous exile d'un bonheur primordial ? Que l'Absolu se soit donné la forme du principe dans le visage d'un univers, ou qu'il faille « retourner » de notre « état de division » à la simplicité originelle, c'est toujours, sous sa double face, l'énigme qui sous-tend l'interrogation sur les origines. C'est de cette première question que sont nées toutes les interrogations sur la raison et sur le sens même de l'existence.
Ce qu'il est convenu d'appeler la pensée moderne s'est heurté de diverses manières à l'idée d'origine (et de Création). La préoccupation génétique dans les sciences a fait surgir le conflit de la science et de la foi sous la forme d'une alternative : Création ou évolution ? Même ramené à de plus justes proportions par la reconnaissance des limites du savoir, ce conflit reste sous-jacent à un néo-positivisme qui déclare dépourvues de sens toutes les propositions sur l'origine, lesquelles ne seraient que des « néants propositionnels » (le seul néant que le logicien puisse aujourd'hui rencontrer).
Sans partager cet extrémisme, une philosophie, plus sensible à l'idée d'un homme se définissant avant tout comme être libre, perçoit un conflit plus subtil entre création divine et créativité humaine. L'œuvre de Fichte témoigne de cette difficulté, sans que pour autant elle nie la nécessité d'un approfondissement philosophique de l'idée chrétienne de création.
Plus récemment, un effort se dessine dans le sens d'un dépassement de ce positivisme et de cet idéalisme humaniste. L'idée de création ou d'origine est soumise à une critique qui y dénonce tantôt un anthropocentrisme que masquent les doctrines du retour ou de la conversion ou du salut, tantôt une ontologie ou une théologie contestables, qui s'autorisent de concepts tels celui de cause ou de principe sans, croit-on, suffisamment les critiquer. On redoute qu'avec ces concepts ne subsiste ou ne renaisse une mythologie de la « préexistence », ou encore ne s'exprime l'obsession d'un « principe de raison », qui ne semble plus être adéquat à de plus inédites exigences. Par-delà le hasard et la raison, certains cherchent ou la sagesse du Bouddha s'interdisant toute question, ou la poétique aventure d'un jeu « pur » qui serait, telle la[...]
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Écrit par
- Stanislas BRETON : docteur ès lettres, docteur en philosophie, docteur en théologie, professeur honoraire aux Instituts catholiques de Paris et Lyon
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Pour citer cet article
Stanislas BRETON, « CRÉATION - La création dans les synthèses philosophico-religieuses », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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