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COEN JOEL (1954- ) & ETHAN (1957- )

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L'envers du rêve américain

George Clooney - crédits : Working Title/ Universal/ Album/ AKG-images

George Clooney

La rigueur de ces films de genre rendus à leur complète expressivité ne se départ jamais d'un humour caustique qui participe, par touches discrètes, aux décalages maîtrisés des frères Coen. Mais il leur fallait aussi laisser cet esprit loufoque prendre son plein essor, ce qu'ils firent dès Arizona Junior (Raising Arizona, 1987), puis dans The Hudsucker Proxy (Le Grand Saut, 1994). Ces films libèrent souvent la vision grotesque d'une Amérique rurale, peuplée d'individus rustres ou stupides, vision omniprésente, mais de manière moins appuyée, de Sang pour sang à Fargo. Cette inspiration culmine dans O Brother Where Art Thou ? (2000), comédie burlesque qui accompagne trois bagnards en cavale dans l'Amérique profonde (le « Deep South ») des années 1930. La cohérence stylistique naît ici de la réunion d'éléments a priori hétéroclites, qui vont de l'Odyssée d'Homère (parodiée par le scénario) au rôle crucial accordé à la musique (blues, gospel, folk), et en passant par une fantaisie de bande dessinée et un étrange retour à la langue classique (que le titre annonce). Cette inspiration d’ordre musical se retrouvera – centrée cette fois sur le folk – dans Inside Llewyn Davis (2013).

The BigLebowski (1998) s'appuie sur un malentendu ; des voyous à la recherche d'un homonyme couvert de dettes s'en prennent au héros de l'histoire, passionné de bowling et grand consommateur de haschich. Ce premier quiproquo en entraînera d'autres permettant aux frères Coen de radiographier la société de Los Angeles, dans une savoureuse parodie du Grand Sommeil, de Raymond Chandler.

Les frères Coen recomposent aussi, parallèlement, une image des mythologies américaines (l'espace gigantesque, le spectacle, le rêve, pris dans un jeu avec les clichés), en accentuant les effets de cadres et d'angles de vue, au risque de rendre parfois décoratives ces prouesses visuelles. Une dérive que The Man WhoWasn't There (2001) réfléchit, au double sens du terme. Dans ce film noir qui respecte scrupuleusement les canons du genre (lumière très travaillée, image en noir et blanc, univers de l'Amérique de la fin des années 1940), tout n'est que mise en scène. Et cela d'autant plus spectaculairement que le personnage principal est un coiffeur qui a tout d'un fantoche. Au terme d'une désolante machination supposée lui faire gagner un petit magot et qui lui coûtera très cher, il dira même son sentiment d'avoir toujours été absent à sa propre vie (ce que résume le titre). C'est autour de ce vide que le film se construit, à la fois comme l'illustration d'un risque de vacuité esthétique (derrière la perfection des images, il n'y a rien), et comme une réflexion sur ce fascinant « trou noir » existentiel. La mise en scène ne sert-elle qu'à « emballer » le néant ou à lui donner une forme ? Est-elle la vanité absolue ou le regard suprême, qui révèle tout ? Ces questions hantent The Man WhoWasn't There (prix de la mise en scène au festival de Cannes 2001), sans trouver une réponse assurée. Pour les frères Coen, elles sont l'expression d'un doute profond qui affleure à nouveau sous la comédie avec IntolerableCruelty (2003), The Ladykillers (2004) et Burnafterreading (2008).

Inside Llewyn Davis, Joel et Ethan Coen - crédits : CBS Films/ StudioCanal/ D.R.

Inside Llewyn Davis, Joel et Ethan Coen

No Country for Old Men (2007), adapté du roman éponyme de Cormac McCarty, renoue avec l'absurde tragique et ravageur des premiers films. L'action se tient en plein désert, à la frontière qui sépare le Texas du Mexique. Ce road movie sanglant, qui regarde vers le western comme vers le thriller, verse cependant dans une forme de mélancolie, lorsque la frénésie de la poursuite apparaît comme une quête absurde, transformant la cavale en une sorte de plaisanterie tragique. Autres variations sur le genre du western, [...]

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Frédéric STRAUSS. COEN JOEL (1954- ) & ETHAN (1957- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/04/2020

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George Clooney - crédits : Working Title/ Universal/ Album/ AKG-images

George Clooney

Inside Llewyn Davis, Joel et Ethan Coen - crédits : CBS Films/ StudioCanal/ D.R.

Inside Llewyn Davis, Joel et Ethan Coen

Autres références

  • BARTON FINK, film de Joel et Ethan Coen

    • Écrit par
    • 918 mots

    Lorsque les frères Coen reçoivent, en 1991, la palme d'or du festival de Cannes pour Barton Fink, ils ont derrière eux une œuvre encore peu abondante mais remarquée, caractérisée par leur goût pour l'insolite, la dérision et l'humour noir. Leurs personnages sont très dessinés, à la limite de...

  • FARGO (J. et E. Coen)

    • Écrit par
    • 1 482 mots

    Sixième film de Joel et Ethan Coen, Fargo est le point d'orgue momentané d'une œuvre jeune et inventive qui, entre la rigueur formelle d'un classicisme retrouvé et la distanciation souvent facétieuse de la postmodernité, a su trouver une place sans équivalent dans le cinéma américain contemporain....

  • INSIDE LLEWYN DAVIS (J. et E. Coen)

    • Écrit par
    • 1 070 mots
    • 1 média

    Trois ans après le succès commercial de True Grit, Joel et Ethan Coen sont revenus à une inspiration plus personnelle et intime. Inside Llewyn Davis (2013) s’inscrit en effet dans la lignée de Barton Fink (1991), The Barber (2001) et A Serious Man (2008). Le destin d’un homme sans destinée permet...

  • NO COUNTRY FOR OLD MEN (J. et E. Coen)

    • Écrit par
    • 925 mots

    Adapté d'un roman de Cormac McCarthy, auteur phare du roman américain contemporain, No Country for Old Men (2007) est l'une des réussites majeures des frères Coen. Dès leurs débuts, ceux-ci ont affectionné particulièrement la périphérie du film noir. Ils l'ont abordé par le biais de l'intrigue...

  • THE BIG LEBOWSKI (J. et E. Coen)

    • Écrit par
    • 982 mots

    Dans Fargo, un bon citoyen rapporte à un adjoint du shérif, en train d'enquêter sur une série de meurtres, qu'il a, dans un bar, rencontré un inconnu qui lui a paru suspect. « À quoi ce type ressemblait-il ? », questionne le policier. « C'était un petit gars, à l'air bizarre », répond l'homme. « Comment...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

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    En restant dans cette perspective « auteuriste », il faut aussi souligner la réalité du renouveau américain de ces vingt dernières années. Joel et Ethan Coen, nés respectivement en 1954 et 1957 (Miller'sCrossing, 1990 ; Barton Fink, 1991 ; The Big Lebowski, 1998 ; O Brother, 2000),...
  • COMÉDIE AMÉRICAINE, cinéma

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    Les frèresCoen procèdent identiquement avec le thriller : comment se débarrasser d'un cadavre, dans Blood Simple (Sang pour sang, 1984) ? La veine du polar se double ici de l'esprit de la bande dessinée. C'est ainsi qu'ils sont capables du plus grand classicisme – sur les traces de...
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    Le cas le plus typique est celui des frères Joel et Ethan Coen, qui se partagent officiellement les fonctions respectives de réalisateur et producteur, mais, à l'instar des frères Taviani, sont indissociables et participent chacun à l'écriture du scénario comme à la mise en scène. On les remarque dès...
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    ...complique le scénario pour mieux perdre le spectateur en route. Ce jeu sur grand écran a obtenu l'oscar du meilleur scénario original. En 1995, avec Fargo, Joel Coen fait d'une shérif enceinte son héroïne et campe un polar sous la neige où le rire tient plutôt du ricanement Une dimension volontiers parodique...