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MILLER CLAUDE (1942-2012)

Claude Miller, mort le 4 avril 2012, fut une figure majeure de la génération 1970 du cinéma français, intermédiaire entre Nouvelle Vague des années 1960 et jeune cinéma des années 1990, celui d'Arnaud Desplechin ou Olivier Assayas. Né le 20 février 1942 à Paris, il occupe pendant dix ans, à la sortie de l'I.D.H.E.C. (promotion 1962-1963), divers postes de collaborateur de création auprès de grands cinéastes : assistant réalisateur ou régisseur de films de Jean-Luc Godard ainsi que de Marcel Carné, Robert Bresson, Michel Deville, Jacques Demy... Il est également directeur de production de sept longs-métrages de François Truffaut dont il assimilera la morale de cinéaste : concentrer davantage son travail sur la mise en scène que sur l'expression subjective, car un film est un récit destiné à toucher un large public. Parallèlement, il réalise trois courts-métrages remarqués, à chaque fois interprétés par Juliet Berto : Juliet dans Paris (1967), La Question ordinaire (1969), Camille (1971).

Afin de passer au long-métrage, Claude Miller s'associe à Luc Béraud. Ils travaillent en commun aux scénarios puis finalisent chacun à tour de rôle la mise en scène. De 1975 à 1980 furent écrits ainsi et réalisés quatre films. Le premier signé de Miller (La Meilleure Façon de marcher, 1976) a été mieux reçu que celui de Béraud (La Tortue sur le dos, 1978) : on a vite catalogué Miller comme réalisateur et Béraud comme scénariste. Aussi leur collaboration tourne-t-elle court après un dernier projet avorté, La Java.

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Les affrontements psychologiques sont décrits de manière singulière dans La Meilleure Façon de marcher, qui montre un conflit entre deux moniteurs de colonie de vacances, le viril (Patrick Dewaere) et le cérébral (Patrick Bouchitey), et dans Dites-lui que je l'aime (1977), où David (Gérard Depardieu) poursuit passionnément et jusqu'à la mort son amour d'enfance (Dominique Laffin). Après quatre ans de projets inaboutis, Miller tourne Garde à vue (1981), une « série noire » dont les dialogues sont signés Michel Audiard. Ce huis clos, qui voit s'opposer Michel Serrault, Lino Ventura et Romy Schneider pendant la nuit de réveillon, fait de ce film de genre un polar magistral à l'émotion contenue, dévoilant un gouffre effrayant de misère affective. Grâce au succès public et à la reconnaissance professionnelle, Miller peut lancer Michel Serrault (dans le rôle d'un vieux détective) à la poursuite d'Isabelle Adjani (une meurtrière qu'il croit être sa fille) dans une Mortelle Randonnée (1983) au romanesque fou, proche du fantastique.

Mais Miller ne poursuit pas dans les superproductions et le star-system. Il privilégie dorénavant une carrière plus personnelle. Il révèle Charlotte Gainsbourg à quatorze ans dans L'Effrontée (1985) où, adolescente farouche, on la voit fascinée par une jeune pianiste virtuose (ce film a obtenu le prix Louis Delluc). Elle est ensuite La Petite Voleuse (1988), sur un scénario posthume de François Truffaut, qui prenait pour héroïne le pendant féminin d'Antoine Doinel. Claude Miller parvient à intégrer cet hommage à la cohérence de son propre univers en en faisant le deuxième volet d'une trilogie de l'adolescence poursuivie avec L'Accompagnatrice (1992). Cette fois, c'est Romane Bohringer, gamine révoltée, qui se soumet à une cantatrice qu'elle idolâtre et déteste tout à la fois.

Après Le Sourire (1994), les drames intimes de Miller se déroulent dans un cadre naturel splendide qui leur confère puissance et profondeur. Dans La Classe de neige (1998), adaptation du roman d'Emmanuel Carrère, les cauchemars et fantasmes d'un jeune garçon se révèlent bien en deçà de l'horrible réalité. Miller aime surprendre, la banalité du quotidien lui permettant de mettre en lumière des personnages aux comportements aberrants ou énigmatiques : une jeune femme mise en danger par la folie de sa mère (Betty Fisher et autres histoires, 2001, sur le thème des égoïsmes maternels) ; une adaptation contemporaine dans le milieu du cinéma de La Mouette d'Anton Tchekhov (La Petite Lili, 2003) ; un film sur l'Occupation avec secrets de famille et flash-back en abyme (Un Secret, 2007) ; une mère biologique insouciante, un père adoptif dépressif et un adolescent qui réclame vengeance (Je suis heureux que ma mère soit vivante, 2009) ; une évocation postmortem de Vic, humoriste funambule, par les deux femmes qui l'on aimé (Voyez comme ils dansent, 2011). Toujours, une narration complexe et un montage virtuose dynamitent le suspense.

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Mort alors qu'il terminait le montage de Thérèse Desqueyroux, d'après le roman de François Mauriac, Claude Miller aura été un cinéaste rare (dix-sept longs-métrages, généralement des adaptations littéraires, de 1976 à 2012), non seulement par exigence esthétique, mais aussi par goût de l'expérimentation et de la recherche sur la nature et les moyens de la création. Dès 2000, La Chambre des magiciennes inaugure ainsi la série « Petites Caméras » diffusée sur Arte, des fictions tournées en caméra mini-DV. Enthousiasmé, le cinéaste tourne ensuite presque exclusivement en numérique haute définition et à deux caméras : la « froide », qui enregistre exactement ce qu'il a prévu, et la « chaude », tenue par son fils Nathan, qui coréalisera même la mise en scène de Je suis heureux que ma mère soit vivante car ses images seront prépondérantes au montage. En 2009, il réalise son seul documentaire, Marching Band (sur les fanfares universitaires).

Si on peut lire en filigrane de La Petite Lili son art poétique, Claude Miller s'engage aussi dans la profession en présidant successivement l'association des auteurs, réalisateurs, producteurs (A.R.P.), la Femis, Europa Cinéma (regroupement de salles d'art et d'essai), puis en étant un des treize rédacteurs du rapport Ferran (Le milieu n'est plus un pont mais une faille) diffusé lors la cérémonie des césars 2008. Le texte milite contre la bipolarité du cinéma actuel, dénonçant l'écart entre un cinéma riche accumulant tous les atouts (financement, chaînes de télévision, publicité) et un cinéma pauvre, c'est-à-dire d'auteur, celui-là même que Claude Miller aura contribué à faire vivre par des œuvres arrachées au courant majoritaire de la facilité.

— René PRÉDAL

Bibliographie

C. Miller, Serrer sa chance, entretien avec C. Vassé, Stock, Paris, 2007.

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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