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CINÉMA ET HISTOIRE

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Le cinéma reconstruit l'histoire

Le film d’histoire

Le cinéma c’est également la machine à remonter le temps. Les metteurs en scène sont capables de donner une apparence de vie à Louis XIV, à Jeanne d'Arc, voire à Jésus-Christ, mais aussi à la population d'un village médiéval ou aux bâtisseurs des pyramides. Pour de multiples raisons, le filon historique suit toute l'histoire du cinéma : déjà, les metteurs en scène employés par les frères Lumière filmaient en un plan unique de dix-sept mètres une Entrevue de Napoléon et du pape, un Assassinat du duc de Guise ou une Exécution de Jeanne d'Arc.

Le cinéma d'histoire a pris la place qu'occupaient les images (d'Épinal et d'ailleurs) dans la constitution d'un passé national légitimant l'État au présent. Il s'est également coulé dans le moule du roman historique, ici Alexandre Dumas, ailleurs Walter Scott ou, spécifiques de la jeune mémoire des États-Unis, les chroniques du « Wild West » de Fenimore Cooper ou de ses héritiers. Il est devenu un genre commercial : le film en costumes, exploité dans le monde entier. Il est à l'origine de cette mythologie longtemps fascinante de la cantine hollywoodienne où trois cow-boys côtoient un sénateur romain en toge, deux héros shakespeariens et Napoléon en personne, tous mastiquant un identique hamburger. Hollywood filmait aussi l'histoire.

Le Radeau de la Méduse, I. Azimi - crédits : Collection Philippe D'Hugues/ D.R.

Le Radeau de la Méduse, I. Azimi

Le film historique possède ici un double statut : il est moyen d'expression de l'histoire, et source pour l'historien. Rarement source sur la période de référence (les croisades ou le xviiie siècle), mais sur le temps zéro du film, le moment où il est conçu, tourné, diffusé et où il rencontre son premier public. C'est avec les yeux du présent, avec les outils conceptuels du présent, avec les moyens techniques du présent que le cinéma voit et anime le passé : un hypothétique Mazarin tourné en 1960 nous informerait plus sur la France de Charles de Gaulle que sur celle de Louis XIV adolescent. Hors une veine, abondante, dont la raison d'être est d'ordre exclusivement commercial, le cinéma d'histoire (le film historique) trouve sa justification dans le présent de sa réalisation.

L'histoire est ici convoquée pour étayer un discours contemporain du filmage. Le plus souvent, il s'agit du discours du pouvoir (le cinéma est un instrument lourd, coûteux et contrôlé), et il est logique que le film historique soit particulièrement abondant dans les régimes totalitaires. Le cinéma nazi a cherché une légitimation du Troisième Reich dans l'exaltation du passé allemand. Il a consacré trois films à Frédéric II roi de Prusse, Der alte und der junge König en 1935, Fridericus en 1936 et Der grosse König en 1942, et deux à Bismarck, Bismarck en 1940 et Die Entlassung en 1942, d'autres à des héros allemands, médecins, musiciens ou écrivains. Il a luxueusement mis en scène en 1943 et 1944 la résistance de Kohlbergaux troupes napoléoniennes, dans le but avoué de consolider le moral de l'arrière quand la Wehrmacht commençait à refluer dans les plaines russes. Le cinéma stalinien, lui, a convoqué le passé russe (Alexandre Nevski et Pierre le Grand en 1938, Souvorov en 1940, Koutouzov en 1943), et plus précisément celui des victoires sur les Teutoniques ou sur Napoléon, pour exalter le patriotisme russe à la veille, puis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans les démocraties, les pouvoirs se bornaient à « inciter » les industriels du septième art à se mettre au service des causes nationales. Le cinéma français de la fin des années 1930 s’engage dans l'exaltation pompeuse des grandes figures de la colonisation (Brazza ou l'épopée du Congo en 1939) pour accréditer la thèse de l'Empire uni contre les menaces d'agression. Deux ans plus tôt c'était le Front Populaire qui[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire, historien de cinéma, président de l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma

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Pour citer cet article

Jean-Pierre JEANCOLAS. CINÉMA ET HISTOIRE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Médias

Mutins du cuirassé Potemkine - crédits : F Bezancon/ Hulton Archive/ Getty Images

Mutins du cuirassé Potemkine

Le Radeau de la Méduse, I. Azimi - crédits : Collection Philippe D'Hugues/ D.R.

Le Radeau de la Méduse, I. Azimi

Falconetti dans <it>La Passion de Jeanne d'Arc</it> - crédits : Henry Guttmann Collection/ Hulton Archive/ MoviePix/ Getty Images

Falconetti dans La Passion de Jeanne d'Arc

Autres références

  • LA 317e SECTION, film de Pierre Schoendoerffer

    • Écrit par
    • 999 mots
    Si son auteur est singulier, ce film est un météore, dans un cinéma français d'une grande frilosité pour ce qui est de la politique, spécialement la politique coloniale (on attend toujours, malgré l'honorable Avoir vingt ans dans les Aurès (1972) de René Vautier, un équivalent sur la...
  • AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU, film de Werner Herzog

    • Écrit par
    • 1 054 mots
    Le film aura un certain écho dans le cinéma américain, et on en trouve des réminiscences aussi bien dans l'« opéra » Apocalypse Now (1979) de Francis Ford Coppola, que dans une réplique et certains plans du beau film de guerre La Ligne rouge (The Thin Red Line, 1999) de Terrence Malick....
  • LA BATAILLE D'ALGER, film de Gillo Pontecorvo

    • Écrit par
    • 1 018 mots
    La difficile réception, en France, de La Bataille d'Alger prouve combien le sujet a été, et reste, brûlant. D'abord, le film n'obtient son visa d'exploitation en France qu'en 1971. Ensuite, les cinémas qui ont le courage de le projeter font l'objet d'actes de vandalisme : la salle Saint-Séverin,...
  • CHRONIQUE DES ANNÉES DE BRAISE, film de Mohamed Lakhdar Hamina

    • Écrit par
    • 989 mots
    ...récit. Puis le rythme s'accélère peu à peu avec le mouvement des révoltes contre l'occupant colonial. L'image exprime alors davantage la violence humaine. À sa manière, Mohamed Lakhdar réécrit l'histoire nationale, sans toujours parvenir à montrer les complexités de la période. Il utilise les plans larges...
  • Afficher les 32 références