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CINÉMA (Aspects généraux) La cinéphilie

S'il fleure bon le grec, comme le cinématographe, le terme « cinéphile » est – lui aussi – une création bien française qui supplante rapidement son malheureux rival « cinémane », et s'implante peu à peu dans le monde entier, comme l'atteste son adoption par les Anglais. Le mot recèle un pouvoir d'expansion qui ne se limite aucunement à « l'amour du cinéma », si l'on entend par là le goût indifférencié pour les images en mouvement. La cinéphilie indique tout au contraire la nécessité du choix, du tri et de critères de discrimination. Elle doit donc s'appuyer sur le discours critique, l'existence de revues dévouées au nouvel art, et sur l'institution des cinémathèques, salles spécialisées et ciné-clubs qui permettent la diffusion des œuvres choisies. Mouvement à la fois artistique et esthétique, mais aussi social et culturel, ce qui a été baptisé cinéphilie vise à l'« éducation du regard », mais aussi à l'instauration d'une authentique « écologie des images » où la reconnaissance de la valeur artistique d'une œuvre se conjugue toujours au pluriel dans l'échange et l'enthousiasme.

Naissance de la cinéphilie

Si le mouvement est principalement français, on aurait tort de le circonscrire, comme par réflexe, aux seules années 1950, de la deuxième série de La Revue du cinéma (1946-1949), de la fondation des Cahiers du cinéma (1951) ou de Positif (1952) à la grande époque du Mac Mahon ou du Nickel Odéon. L'histoire commence beaucoup plus tôt. Sans remonter à Edmond Benoît-Lévy (fondateur en 1905 de Phono-gazette, vite devenue Phono-ciné-gazette) ou à Guillaume-Michel Coissac, rédacteur en chef du Fascinateur (1903-1914), il faut aller beaucoup plus en amont de ce que l'on a coutume de faire pour s'attacher à la première époque de la reconnaissance artistique du cinéma, qui coïncide avec le début de la Première Guerre mondiale. Ricciotto Canudo (1877-1923) parlait dès 1911 de « sixième art », avant d'imposer définitivement le « septième ». Mais l'écrivain italien d'expression française ne mérite le titre de « premier cinéphile » qu'à partir du moment où sa « construction » théorique – qui aboutit à une pyramide des arts avec le cinéma au sommet – rencontre la réalité de l'innovation cinématographique. De 1914 à 1918, chaque mois, voire chaque semaine, de la production américaine apporte son lot de merveilles anonymes ou signées D. W. Griffith (Naissance d'une nation, 1915 ; Intolérance, 1916 ; Cœurs du monde, 1918), Cecil B. De Mille (Forfaiture, 1915) ou Charlie Chaplin, qui commence précisément sa carrière en 1914. Ce n'est donc pas avec l'arrivée en masse des films américains en 1945, encore moins au moment de la « politique des auteurs » des Cahiers du cinéma une décennie plus tard, que se constitue l'axe franco-américain, déterminant la signification même du vocable « cinéphilie ». Les années de la Première Guerre mondiale vont ainsi avoir une double conséquence dans le champ du cinéma : en termes de production, elles marquent la fin de la domination française au moment où Gaumont et Pathé laissent la place aux géants américains, qui viennent de s'installer sur la côte ouest des États-Unis. Pour la réception, critique et cinéphilique, il s'agit tout au contraire du vrai début de l'imperium français, dont le pouvoir de légitimation affectera d'abord et avant tout la production américaine.

Une telle domination n'apparaît certes pas sans partage. Les tenants du cinéma d'art français et des grandes œuvres nordiques, germaniques et soviétiques forment d'autres piliers, tout aussi solides, de la cinéphilie. Henri Langlois lui-même, bien avant la création de la Cinémathèque française en 1936,[...]

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  • : professeur d'études cinématographiques et d'esthétique à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée

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