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CAMPIN ROBERT ou MAÎTRE DE FLÉMALLE (1380 env.-1444)

Le style de Campin

Les interférences entre sculpture et peinture, fréquentes depuis André Beauneveu, expliquent l'attention portée par les peintres de la nouvelle génération au modelé des figures par le traitement de la lumière, particulièrement sensible dans les portraits, tels ceux du couple peint par Campin (National Gallery, Londres). Avec la Nativité (Dijon), que l'on peut dater d'entre 1420 et 1425, et le Triptyque de Mérode (vers 1425-1428, Musée des Cloisters, New York ; ce dernier fit une forte impression sur Jan van Eyck lors de son passage à Tournai et il s'en est souvenu en peignant l'Annonciation du retable de l'Agneau mystique de Saint-Bavon à Gand, achevé en 1432), Campin s'affirme comme un novateur ; développant les trouvailles des peintres de miniatures, tel Jacquemart de Hesdin dont il reprend le coloris froid et argenté, les harmonies perlées, tel le Maître de Boucicaut, ou celles des peintres de panneaux comme Melchior Broederlam, il est le premier à rendre avec cette force suggestive le sentiment atmosphérique, tant extérieur – avec l'admirable paysage de la Nativité – qu'intérieur – avec le cadre domestique où se déroule l'Annonciation.

<it>Saint Joseph</it>, panneau droit du triptyque de Mérode, R. Campin - crédits :  Bridgeman Images

Saint Joseph, panneau droit du triptyque de Mérode, R. Campin

<it>Annonciation</it>, R. Campin - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Annonciation, R. Campin

Le style de Campin est énergique, descriptif, formé de contrastes violents : contrastes entre la volonté manifeste d'exprimer l'espace et de modeler les formes plastiquement (même s'il utilise encore, pour marquer la perspective, les procédés traditionnels de la miniature, la composition n'a plus le caractère tantôt dispersé, tantôt compact des œuvres précédentes), et une tendance au déploiement décoratif et en surface (ainsi les draperies qui s'étalent et occupent presque tout l'espace), entre le traitement naturaliste dans le rendu détaillé des matières (bois, étoffe, étain) et un certain arbitraire (notamment dans la disposition des plis), entre le symbolisme des objets et parfois une certaine gratuité complaisante dans leur représentation matérielle. Ces conflits seront résolus par Rogier et par Van Eyck grâce à des solutions différentes. À cet égard, il faut évoquer la composition de l'Annonciation du Polyptyque de Saint-Bavon où les trois volets forment un seul espace continu, alors que, chez Campin, il y aura toujours une rupture entre les trois scènes. Avec le retable destiné à l'abbaye de Flémalle, que l'on peut dater de 1429-1430 environ, et l'Autel Werl (du nom du donateur, inscrit avec la date de 1438 au bas de l'un des panneaux), Campin, sous l'influence de Rogier et de Van Eyck atteint à son tour le sommet de son art. Du premier retable, la composition centrale, une déposition, n'est connue que par une copie dessinée (Liverpool), et seuls restent quatre des volets latéraux : un mauvais larron, une sainte Véronique, une Vierge à l'enfant sur fond or, imitant la soie brochée, et une Trinité en grisaille (Städelches Kunstinstitut, Francfort). La beauté des visages, la noblesse tragique des expressions (le mauvais larron a souvent été pris pour un bon larron) et une certaine grâce fluide de la ligne, inconnue jusqu'alors chez Campin, laissent supposer, surtout pour les volets, plus qu'une influence, une collaboration de la part de Rogier, qui à l'époque était encore dans l'atelier de son maître. De cette descente de Croix, Rogier fera d'ailleurs avec sa propre Déposition (Escorial), vers 1436, ce que Panofsky appelle pertinemment une « critique peinte » du Maître de Flémalle.

Pour l'Autel Werl (Prado, Madrid), dont il ne reste que les volets – un saint Jean-Baptiste présentant le donateur et une sainte Barbara, placés chacun dans un intérieur –, les types physiques, les attitudes et les drapés sont encore très proches de Rogier (comme ils le seront également dans la Vierge sur un trône du musée Granet d'Aix-en-Provence),[...]

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Pour citer cet article

Françoise HEILBRUN. CAMPIN ROBERT ou MAÎTRE DE FLÉMALLE (1380 env.-1444) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>La Madone à l'écran d'osier</it>, R. Campin - crédits :  Bridgeman Images

La Madone à l'écran d'osier, R. Campin

<it>Saint Joseph</it>, panneau droit du triptyque de Mérode, R. Campin - crédits :  Bridgeman Images

Saint Joseph, panneau droit du triptyque de Mérode, R. Campin

<it>Annonciation</it>, R. Campin - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Annonciation, R. Campin

Autres références

  • LE MAÎTRE DE FLÉMALLE et ROGIER VAN DER WEYDEN (expositions)

    • Écrit par Christian HECK
    • 1 092 mots

    L'organisation, la même année, de deux expositions majeures consacrées à l'art des primitifs flamands, l'une Le Maître de Flémalle et Rogier Van der Weyden au Städel Museum de Francfort (21 novembre 2008-22 février 2009) reprise par la suite à la Gemäldegalerie de Berlin (20...

  • GOTHIQUE ART

    • Écrit par Alain ERLANDE-BRANDENBURG
    • 14 896 mots
    • 27 médias
    Le grand initiateur est le Maître de Flemalle, souvent identifié avec Robert Campin (1378 ou 1379-1444), à Tournai ; ses œuvres marquent une rupture avec le gothique international par leurs recherches de perspective, la réalité des paysages ou des intérieurs reproduits, par le dessin des personnages,...
  • LOCHNER STEPHAN (1410 env.-1451)

    • Écrit par Pierre VAISSE
    • 569 mots

    Peintre allemand né à Meersburg, Stephan Lochner s'établit à Cologne en 1442 au plus tard, date à laquelle il achète une maison dans la ville. Il est membre du conseil de la Corporation des peintres en 1447 et 1450. Pendant la décennie où sa présence est attestée à Cologne, il fut sans...

  • NÉERLANDAISE ET FLAMANDE PEINTURE

    • Écrit par Lyckle DE VRIES
    • 10 188 mots
    • 18 médias
    ...Limbourg, par exemple, se sentait libre de remplir une composition de caractère surtout décoratif d'une quantité de détails réalistes. Chez un artiste comme Robert Campin, le projet lui-même est tiré de la réalité qu'il observe quotidiennement. C'est là un revirement capital qui n'eût pas été possible dans...
  • STYLE, ARTISTE ET SOCIÉTÉ, Meyer Schapiro - Fiche de lecture

    • Écrit par François-René MARTIN
    • 1 301 mots
    ...Schapiro réduit à peu de choses la démonstration du Viennois, mais tout en admettant la possibilité d'une interprétation psychanalytique des œuvres d'art. C'est moins à la théorie psychanalytique elle-même qu'à l'attention qu'elle porte à la symbolique sexuelle que l'on peut rattacher l'étude sur le symbolisme...

Voir aussi