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BUTŌ

France, terre d'accueil

Plutôt considéré dans son pays d'origine comme un art déviant, voire honteux pour la culture japonaise, et tout juste bon à produire des images « pour les magazines à sensation », le butō fut tenu à l'écart par les institutions culturelles et les salles de spectacle jusqu'en 1985, date du premier festival de butō au Japon. La plupart des artistes du butō durent leur salut à la reconnaissance acquise lors de tournées à l'étranger. La France a joué un rôle important dans la diffusion de cette danse. En 1977, une première troupe japonaise de rituel et théâtre dansé fait son apparition au festival de Nancy. Dirigée par Miura Isso, la troupe Butō sha n'est pas considérée comme une compagnie de butō, mais son spectacle La Porte en reprend les archétypes : évocation de la naissance, lenteur, nudité, érotisme, communication avec les animaux. La performance impressionne. En 1978, Ikeda Carlotta, Hanaoka Mizelle et Murobushi Kō arrivent à Paris et se produisent au Nouveau Carré Silvia Monfort avec Le Dernier Eden. Parmi les spectateurs se trouve Michel Guy (1927-1990), directeur du festival d'Automne de Paris, qui décide d'y programmer du butō. Hijikata, convié, préfère envoyer deux de ses danseuses : Ashikawa Yōko et Kobayashi Saga. Finalement, la manifestation MA Espace Japon a lieu en 1979, mêlant architecture, calligraphie, chants bouddhiques, musique contemporaine, théâtre et danse avec Tanaka Min et les danseuses d'Hijikata. En 1981, Ōno Kazuo danse son Hommage à la Argentina au festival de Nancy. Les spectateurs sont sous le choc. Grâce à cet ambassadeur septuagénaire, le butō va alors faire le tour du monde, malgré sa découverte tardive. En dépit des tentatives de dissuasion de la part des diplomates japonais, la France continuera de programmer de nombreux artistes de butō. Beaucoup de ces danseurs vont même s'installer partiellement ou complètement en France, tels Ikeda Carlotta, Murobushi Kō, Daïmon Shiro, Tanaka Min... ou bien ils deviendront « itinérants » pour pouvoir exister. Seul le Sankaï Juku, régulièrement programmé au Théâtre de la Ville à Paris, bénéficie du soutien de la firme Mitsubishi.

Aujourd'hui, le butō est assez éloigné de la « rébellion de la chair » prônée par Hijikata Tatsumi. Au Japon, la situation des danseurs de butō a peu évolué, cette danse n'étant toujours pas subventionnée et très peu diffusée. Les formes traditionnelles – nō, kabuki, bunraku –, proscrites à l'origine, se sont peu à peu introduites dans le butō, ouvrant la porte à un enseignement et à des stages. Finalement, cette danse existentielle, qui échappait à toute définition, est devenue une technique. On rencontre ainsi des groupes de butō un peu partout dans le monde dont le directeur n'est pas toujours japonais.

De plus, l'avènement de la danse contemporaine a finalement banalisé les principes du butō dans le panorama culturel international. La nudité n'est plus ni provocante ni réservée aux « butokas », les pratiques issues du cabaret ont été reprises dans d'autres types de spectacles, la communion avec la nature rejoint les préoccupations écologistes et les philosophies orientales ne surprennent plus. La danse contemporaine a ainsi absorbé toutes les influences dans un creuset commun.

Reste que l'esprit du butō peut se retrouver, en raison de sa puissance de remise en cause de la danse elle-même, dans les créations les plus récentes qui proposent une réflexion sur la nature de l'art chorégraphique et sur l'essence de la danse.

— Agnès IZRINE

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Écrit par

  • : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse

Classification

Pour citer cet article

Agnès IZRINE. BUTŌ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BALLET

    • Écrit par Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE
    • 12 613 mots
    • 20 médias
    Dans le Japon vaincu naît une danse en opposition à l'esthétique du théâtre nō et du ballet classique occidental. Son nom,le buto, vient du groupe de recherche Ankoku Buto Ha (« la danse des ténèbres »), qui s'est créé autour de Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ohno (1906-2010)....
  • HIJIKATA TATSUMI (1928-1986)

    • Écrit par Bertrand RAISON
    • 1 185 mots

    Avec la mort de Hijikata Tatsumi, c'est un peu de la force de l'avant-garde japonaise des années 1960 qui s'en est allée. Il ne fut pas seulement le fondateur de l'ankoku buto (signifiant « danse des ténèbres » ; plus tard abrégé en buto), mais surtout le révélateur de...

  • IKEDA CARLOTTA (1941-2014)

    • Écrit par Thomas HAHN
    • 954 mots
    • 1 média
    La décision de se lancer dans ce courant chorégraphique n’est pas seulement artistique. En effet, à ses débuts, le butō se veut aussi un engagement citoyen contre la société industrielle et la présence militaire américaine au Japon. Cette contestation passe par la libération du corps. Avec sa petite...
  • MUROBUSHI KŌ (1947-2015)

    • Écrit par Thomas HAHN
    • 1 067 mots
    • 1 média
    Après avoir créé en 1972, avec Maro Akaji, la troupe Dairakudakan, il règle des chorégraphies fondatrices du butō pour Ariadone, la compagnie d’Ikeda Carlotta (qui avait collaboré avec Dairakudakan) et composée uniquement de danseuses. Puis, en 1976, il fonde Sebi, une troupe exclusivement masculine....

Voir aussi