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BUTŌ

Le butō aujourd'hui

Hijikata et Ōno sont à l'origine d'une lignée d'artistes très singuliers qui se réclament du butō, chacun d'entre eux s'inspirant de tel ou tel aspect de cette danse. Celle-ci s'enrichit en effet de chaque danseur, de sa gestuelle personnelle à sa quête existentielle. Les exercices de butō n'imposent nul modèle reproductible, nulle technique particulière, mais incitent chacun à explorer son imaginaire, à renforcer son endurance, à intensifier son énergie. Le danseur de butō ne fait rien, il est. Plus qu'à un enseignement, il se soumet, pour effacer son ego, à une initiation sur le mode maître-disciple, souvent violente, éduquant le corps à la dure (jeûne, immersion dans l'eau glacée, stations pénibles immobiles...). Il s'agit tout autant de modifier la perception interne du corps que son rapport au cosmos ou à la société. Rien de tout cela ne pouvant se transmettre par le biais d'un académisme ou d'une école particulière, seuls subsistent quelques traits communs : pieds en dedans, yeux révulsés, corps nus blanchis, crânes rasés, postures fœtales, rythme ralenti...

Parmi les disciples d'Hijikata, outre Ōno qui poursuivra son travail de création jusque dans les années 1990, mentionnons Ishii Mitsutaka (devenu danseur indépendant à partir de 1967) ainsi que Ashikawa Yokō, Nakajima Natsu et Kasai Akira qui fonderont leur propre compagnie (respectivement, Hakuto-Bō, Muteki-Sha, Tenshi-Kan). Maro Akaji – acteur, danseur, metteur en scène, chorégraphe et scénographe –, qui collabora épisodiquement avec Hijikata, a créé quant à lui, en 1972, le Dairakuda-Kan, une compagnie de vingt-quatre danseurs qui est devenue une sorte de vivier pour la danse butō. En effet, c'est dans cette troupe que débutent, parmi les plus connus, Amagatsu Ushio – qui fondera en 1975 Le Sankai Juku –, Murobushi Kō et Ikeda Carlotta – qui animeront, respectivement, les groupes Sebi et Ariadone –, et Yamada Bishop – fondateur de la troupe Hoppō butō Ha.

Chaque compagnie de butō possède ses particularités. Kasai Akira associe butō et anarchisme et choisit Nijinski comme référence chorégraphique. En 1971, il fonde à Tōkyō une école de butō, la Tenshi-kan (La Maison de l'ange) avant de partir pour l'Allemagne de 1979 à 1985 et se consacrer à l'étude de l'eurythmie. Revenu au Japon en 1985, il reprend la danse en 1994 mais ne se réclame plus du butō.

Amagatsu Ushio et Le Sankaï Juku proposent un butō très esthétique. La gestuelle est fluide et ondulante, les visages sont empreints de gravité et dépersonnalisés à force d'inexpressivité. Les danseurs deviennent ici des formes pures en voie de transformation, des chrysalides. Leurs mouvements alanguis sont soulignés par d'amples jupes ou de longues tuniques. Les décors grandioses et les lumières raffinées créent des fonds de scène sophistiqués, d'une épure toute nippone, où les danseurs semblent se détacher comme sur un bas-relief.

Murobushi Kō a travaillé avec Hijikata de 1968 à 1970 avant d'entrer au Dairakuda-Kan en 1972. Il fonde ensuite deux groupes : le premier, Ariadone, constitué uniquement de danseuses, en 1974, dont il confie la direction à Ikeda Carlotta ; le second, Sebi, entièrement masculin, en 1976, qu'il dirige lui-même. Murobushi (qui signifie oiseau imaginaire) pratique un butō très spirituel, proche d'un certain bouddhisme, et non sans rapport avec l'expérience de yamabushi (moine errant dans les montagnes), qu'il choisit de vivre de 1970 à 1972. Tel un chaman, il se situe entre deux mondes, n'appartient à aucun genre ni à aucun sexe mais peut tout devenir par la transe ou l'extase. Néanmoins, comme Hijikata, il envoie ses danseurs au cabaret (il en ouvrira même un à Tōkyō, le Shy, en 1981) pour habituer le corps à la nudité et redécouvrir[...]

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Écrit par

  • : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse

Classification

Pour citer cet article

Agnès IZRINE. BUTŌ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BALLET

    • Écrit par Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE
    • 12 613 mots
    • 20 médias
    Dans le Japon vaincu naît une danse en opposition à l'esthétique du théâtre nō et du ballet classique occidental. Son nom,le buto, vient du groupe de recherche Ankoku Buto Ha (« la danse des ténèbres »), qui s'est créé autour de Tatsumi Hijikata (1928-1986) et Kazuo Ohno (1906-2010)....
  • HIJIKATA TATSUMI (1928-1986)

    • Écrit par Bertrand RAISON
    • 1 185 mots

    Avec la mort de Hijikata Tatsumi, c'est un peu de la force de l'avant-garde japonaise des années 1960 qui s'en est allée. Il ne fut pas seulement le fondateur de l'ankoku buto (signifiant « danse des ténèbres » ; plus tard abrégé en buto), mais surtout le révélateur de...

  • IKEDA CARLOTTA (1941-2014)

    • Écrit par Thomas HAHN
    • 954 mots
    • 1 média
    La décision de se lancer dans ce courant chorégraphique n’est pas seulement artistique. En effet, à ses débuts, le butō se veut aussi un engagement citoyen contre la société industrielle et la présence militaire américaine au Japon. Cette contestation passe par la libération du corps. Avec sa petite...
  • MUROBUSHI KŌ (1947-2015)

    • Écrit par Thomas HAHN
    • 1 067 mots
    • 1 média
    Après avoir créé en 1972, avec Maro Akaji, la troupe Dairakudakan, il règle des chorégraphies fondatrices du butō pour Ariadone, la compagnie d’Ikeda Carlotta (qui avait collaboré avec Dairakudakan) et composée uniquement de danseuses. Puis, en 1976, il fonde Sebi, une troupe exclusivement masculine....

Voir aussi