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VIAN BORIS (1920-1959)

Les « cinq grands » et quelques autres

Ses préférences littéraires allaient à Queneau, Kafka, Wells, Benjamin Constant (pour Adolphe), à Jarry (c'étaient ses « cinq grands »), à Marcel Aymé et Pierre Mac Orlan, à Faulkner. Parler d'« influence » de ces écrivains sur Vian serait inexact ; leur diversité même l'interdit. Et si l'on ajoute Rabelais, Lewis Carroll et Céline à ceux qu'il a lus et appréciés fort jeune, les « sources » forment un fleuve de toutes eaux mêlées : de Constant la syntaxe classique, de Carroll le merveilleux, de Rabelais les énumérations torrentielles, de Jarry la logique hallucinée, de Queneau les jeux de langage et le sens des dialogues, de Wells au début, puis de la grande vague de la science-fiction américaine des années 1940, sa propension à conduire ses personnages dans des univers modifiés ou découverts grâce à une technologie nouvelle. Ainsi les rapports de Vian à ses auteurs favoris pourraient-ils se multiplier sans nous offrir la clé de son originalité. Le fonds culturel dans lequel il baigne est infiniment plus vaste et riche et bouillonnant que ne le suggère ce panthéon d'auteurs illustres. Toute la littérature anglo-saxonne en ce qu'elle a de meilleur (Melville, Kipling, Hemingway, Caldwell, Steinbeck...) est convoquée. Dans les années 1930, à l'heure où les découvre Alain Resnais qui le pressentira comme scénariste afin de porter leur commune passion à l'écran, Vian lit les aventures policières et fantastiques de Harry Dickson, publiées sous l'anonymat par Jean Ray. Il ne néglige pas Pierre Dac, son Os à moelle (d'avant-guerre), sa « loufoquerie » ; il y voit une tentative, fût-elle inconsciente, d'acclimatation en France, du burlesque de W. C. Fields, des Marx Brothers, plus tard d'Hellzapopin (voir Henri Baudin : Boris Vian humoriste, 1973 ; Gilbert Pestureau : Boris Vian, les Amerlauds et les Godons, 1978). Trouble dans les Andains, premier roman, écrit en 1943, édité après sa mort (1966), révèle ce filon à l'état brut. Si son écriture, parfaitement concertée, ne doit rien à l'écriture surréaliste (du moins dans sa forme automatique), on a remarqué (Jean Blanzat, dès 1947) que dans ses transpositions de la réalité Vian – qui du reste admirait Max Ernst – s'aide des techniques du surréalisme pictural. Après Vercoquin et le plancton (1944-1945, publié en 1947), sa fantaisie verbale (mots-valises, néologismes, détournement de sens, prise au pied de la lettre, contrepèteries, calembours, archaïsmes, anglicismes francisés, etc.) sert exclusivement de moteur à la création poétique. Vian biologise les objets : les vitres repoussent, les boutons de sonnette mordent, les fusils germent sous la chaleur du corps, les chaises Louis XV vieillissent et deviennent Louis XVI, les couvertures affectueuses remontent le long des jambes, la cravate que vous nouez se referme sur votre index et vous l'écrase ; les êtres sont hybrides : un personnage qu'on plante là prend racine, un regard pue, on épluche les chiens, un nénuphar ronge le poumon de Chloé ; les lieux rétrécissent, les murs se rapprochent.

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Pour citer cet article

Noël ARNAUD. VIAN BORIS (1920-1959) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Boris Vian - crédits : Pierre Vauthey/ Sygma/ Getty Images

Boris Vian

Autres références

  • L'ÉCUME DES JOURS, Boris Vian - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 548 mots
    • 1 média

    L'Écume des jours est un roman de Boris Vian (1920-1959) paru en mars 1947 aux éditions Gallimard. Rédigé en quelques mois au printemps 1946, le livre ne fut publié que sur l'insistance de Raymond Queneau et de Jean-Paul Sartre, et passa alors complètement inaperçu. Il ne fut réellement...

  • ARRANGEURS DE LA CHANSON FRANÇAISE

    • Écrit par Serge ELHAÏK
    • 7 929 mots
    • 3 médias
    Le pianiste Jimmy Walter (1930-2012) est très présent lors des débuts de Boris Vian en tant que chanteur au milieu des années 1950. Pour lui, il compose et arrange la musique des chansons cultes On n’est pas là pour se faire engueuler et J’suis snob. Il est aussi arrangeur et en partie compositeur...
  • EXISTENTIALISME

    • Écrit par Yves STALLONI
    • 1 084 mots

    Indépendamment de ses fondements théoriques et de ses retentissements philosophiques, l’existentialisme mérite d’être considéré dans une perspective littéraire et même sociologique. Une des raisons de sa popularité est sans doute que cette philosophie de l’existence ne propose pas un système...

  • GONDRY MICHEL (1963- )

    • Écrit par René PRÉDAL
    • 1 022 mots
    • 2 médias
    En montrant à plusieurs reprises le roman en train de s'écrire dans un gigantesque pool de secrétaires, L'Écume des jours (2013) distord la logique de la narration en brouillant les frontières entre fiction, pastiche littéraire et science-fiction qui caractérisaient le livre de Boris Vian...
  • PATAPHYSIQUE

    • Écrit par Noël ARNAUD
    • 1 833 mots
    ...au cœur de toute réalité, de toute pensée, de tout art. Et de toute science : expliquant la 'pataphysique devant un auditoire nombreux et peu averti, Boris Vian pourra affirmer qu'il n'y a que l'exception qui fasse avancer la science, et il ajoutera : « Je n'ai pas besoin de vous rappeler les exemples...

Voir aussi