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BODY ART

L'espace de l'intime, le corps comme langage

Dès la fin des années 1960, un certain nombre d'artistes conçoivent leur performance pour un public restreint, convoqué pour la circonstance dans un appartement ou une galerie. Le sentiment de se rendre à la réunion d'une société secrète a probablement exacerbé l'idée que le corps était devenu le révélateur de pratiques subversives. La Messe pour un corps (1969), célébrée par Michel Journiac, est de ce point de vue très explicite. La transformation de la galerie Daniel Templon en lieu de culte, la célébration de la messe en latin, la communion partagée avec le public à l'aide de rondelles de boudin cuisinées avec le sang de l'artiste exposent de façon surprenante le lien charnel qui relie les êtres. L'analyse de la pulsion voyeuriste chez le « regardeur » par la présentation d'un jeune homme nu dans une cage aux barreaux de néon (Piège pour un voyeur, 1969), l'évocation de la figure du travesti à travers les transformations successives d'un modèle (Piège pour un travesti, 1972) participent dans le langage de Journiac à la dénonciation du corps socialisé, mais manifestent aussi, avec cette élégance qui fut sa marque, que l'être humain est à la fois chair et esprit.

En 1969, Gilbert et George se déclarent « sculptures vivantes ». Le visage et les mains peints généralement couleur bronze, vêtus de complets étriqués, une canne à la main, ils peuvent tout aussi bien devenir des Singing Sculptures qui entonnent des chansons populaires, que présenter avec des gestes d'automates un spectacle en neuf parties (The Red Sculpture, 1975). Parodiant l'intérêt des Britanniques pour les classes sociales, ils attirent avec humour l'attention du public sur le commentaire social sous-jacent de leurs apparitions, avant de s'investir dans la réalisation de grandes fresques photographiques.

L'image emblématique des actions de Gina Pane est l'incision à la lame de rasoir. Précisons que la blessure fut pour elle un outil de langage et non une mutilation. Durant le temps de l'action où elle apparaît toujours vêtue de blanc, elle s'employait à faire passer au stade conscient l'aliénation du corps soumis à l'ordre social. Ainsi, les paupières incisées pour faire jaillir des larmes de sang symbolisent l'accès à une double vue (Action Psyché, 1974) et le lait mélangé au sang d'une bouche blessée (Autoportrait(s), 1973), la condition féminine. Le recours à la douleur lui permet d'atteindre ce qu'elle nommait le corps « transindividuel », c'est-à-dire l'équilibre entre l'individuel et le collectif. En faisant de la condition féminine le motif essentiel de ses actions, elle est parvenue grâce à la complexité poétique et métaphorique de son langage à apparenter le rituel du corps à une archéologie de la vie mentale, où souvenirs, événements portés par l'actualité, repères d'une quête spirituelle tissent des liens complexes. Extrêmement attachée à la divulgation de ses actions, comme le révèlent, dès 1969, ses premières actions solitaires dans le paysage, l'artiste conçoit des « constats d'action », véritable écriture visuelle restituant de façon condensée la dimension temporelle de l'événement éphémère.

Si la blessure et la recherche du péril sont des expériences communes à quelques artistes, l'exaltation de la souffrance a permis à chacun d'eux d'explorer des registres fort distincts. L'action Shoot (1971) du Californien Chris Burden en est un exemple. Exécutée dans une galerie devant quelques amis, elle met à l'épreuve son endurance psychologique et physique autant que celle du public. Ayant demandé à l'un de ses amis de tirer sur son bras gauche avec une carabine 22 long rifle, il inscrit l'action artistique[...]

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Pour citer cet article

Anne TRONCHE. BODY ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece» - crédits : Truman Moore/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece»

Autres références

  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 634 mots

    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 1 073 mots

    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par Matthias SCHÄFER
    • 2 242 mots
    Dans son action Promenade à Vienne (5 juillet 1965), Brus, vêtu d'habits peints en blanc et ayant tracé une ligne noire de la tête aux pieds, qui semble ouvrir son épiderme, a traversé à pied le centre de la ville (mais la police, qui l'arrête, interrompt l'action). L'artiste voulait ainsi exprimer...
  • BARNEY MATTHEW (1965- )

    • Écrit par Caroline CROS
    • 1 057 mots
    Mais déjà les principales obsessions de l'artiste sont posées : le façonnage du corps, par le sport ou par la chirurgie esthétique, le dépassement de soi, la mutation, l'énergie, l'indifférenciation sexuelle, la volonté et le narcissisme. Ses matériaux de prédilection apparaissent aussi : la vaseline,...
  • Afficher les 29 références

Voir aussi