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BODY ART

Le corps sous l'œil de l'objectif

Le travail systématique des artistes de la performance avec des cinéastes et des photographes, en vue de documenter leurs actions, va favoriser le passage d'un art de l'action vers un art corporel spécifiquement photographique. Le travail de Rudolf Schwarzkogler, un temps protagoniste des actionnistes, incarne cette transition. Ses actions, qui simulent des automutilations, se développent dans une atmosphère clinique où le bandage taché de sang joue un rôle primordial. Elles témoignent, en outre, d'une syntaxe raffinée, où l'art du cadrage, le rôle du détail, l'attention portée à l'éclairage rendent visible la façon dont le langage photographique peut lui aussi réinventer le corps.

Venu de la poésie, Vito Acconci définit, à partir de 1969, son corps comme lieu sur lequel il peut intervenir méthodiquement. La répétition épuisante du même geste, l'enregistrement des variations du rythme biologique au cours d'un effort physique, la mesure de l'intensité de la douleur provoquée par une morsure ou une brûlure construisent, à l'aide du texte et de la photographie, le champ théorique de ses expériences. Au sein de l'espace d'une galerie, il se soustrait généralement au regard du spectateur, faisant seulement entendre sa voix ou diffusant sa performance par le circuit fermé d'un téléviseur. Ainsi, dans Claim (1971), il est assis seul au bas d'un escalier, et répète : « Je veux être seul, je ne laisserai personne descendre ici. » À partir de 1968, le geste élémentaire, répété jusqu'à l'obsession, devient aussi la base du vocabulaire corporel de Bruce Nauman. Slow Angle Walk (1968-1969) montre, par l'intermédiaire d'un enregistrement vidéo, le lent déplacement de l'artiste une heure durant pour effectuer le passage à angle droit d'une ligne verticale à une ligne horizontale dessinées sur le sol. La règle de l'endurance lui permet de se mettre à l'épreuve, mais avec une distance amusée qui nous rappelle que la gratuité dans tous ces exercices reste de mise. Ainsi, Self-Portrait as a fountain le montre en train d'utiliser sa bouche pour en faire jaillir de l'eau dans un joyeux hommage à Marcel Duchamp.

En cherchant de nouveaux paramètres à la définition de l'acte artistique, certains artistes expérimentent les phénomènes de résistance à la douleur ou à la fatigue. Dans Parallel Stress (1970), Dennis Oppenheim se maintient pendant dix minutes entre deux murs de béton par l'extrémité des pieds et des mains. Venu du land art, il utilise, à partir de 1969, son corps comme élément de transition avec l'environnement. Plaçant son corps dénudé face au soleil à la façon d'une pellicule photographique à impressionner, exposant à l'objectif d'une caméra vidéo les zones de son cuir chevelu, il révèle chaque fois que l'outil photographique ou vidéographique n'est plus ce qui documente la performance, mais bien ce qui la modélise. Les « semi-positions » du Tchèque Karel Miler, par lesquelles il a, sur un mode répétitif, mesuré la position de son corps dans le paysage et interrogé les lois optiques qui nous gouvernent, présentent le corps comme un outil considéré en dehors de toute histoire personnelle. « L'Univers est mouvement, dit-il, même quand il fait du surplace. »

Bien qu'ayant fait ses études aux États-Unis, Ana Mendieta cherchait par le biais de la performance et de rituels conçus comme des actes de purification à retrouver son héritage cubain. L'utilisation du sang, de la terre dont elle s'enduisait le corps donnent lieu à des images envoûtantes où s'expriment les croyances magiques de la santeria. Dans sa série Tree of Life commencée en 1977 où, enduite de boue, elle semble s'extraire de la masse ligneuse[...]

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Pour citer cet article

Anne TRONCHE. BODY ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece» - crédits : Truman Moore/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece»

Autres références

  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 634 mots

    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 1 073 mots

    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par Matthias SCHÄFER
    • 2 242 mots
    Dans son action Promenade à Vienne (5 juillet 1965), Brus, vêtu d'habits peints en blanc et ayant tracé une ligne noire de la tête aux pieds, qui semble ouvrir son épiderme, a traversé à pied le centre de la ville (mais la police, qui l'arrête, interrompt l'action). L'artiste voulait ainsi exprimer...
  • BARNEY MATTHEW (1965- )

    • Écrit par Caroline CROS
    • 1 057 mots
    Mais déjà les principales obsessions de l'artiste sont posées : le façonnage du corps, par le sport ou par la chirurgie esthétique, le dépassement de soi, la mutation, l'énergie, l'indifférenciation sexuelle, la volonté et le narcissisme. Ses matériaux de prédilection apparaissent aussi : la vaseline,...
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Voir aussi