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BODY ART

Corps public et corps social

C'est dans la Vienne de l'après-guerre que se met en place un art fortement ritualisé désignant le corps comme mesure de toute chose : du langage, de l'espace, des structures sociales. Faisant suite au projet d'une forme d'art total qu'il avait esquissé en 1957 avec son Théâtre des orgies et des mystères, l'artiste Hermann Nitsch entreprend des « actions » avec les peintres Otto Muehl et Günter Brus. Engagés dans un expressionnisme gestuel, ils passent de la peinture à l'acte, prennent à leur compte l'antiformalisme qui caractérise le happening naissant tout en y ajoutant un caractère fortement blasphématoire. Dès leurs premières manifestations, en 1962, ils choisissent de travailler sur le corps humain maltraité, mettent en scène des pulsions élémentaires en convoquant, à l'occasion, des signes provenant de la symbolique chrétienne profanée et n'hésitent pas à s'adresser à un large public. Partageant le projet théorique de la mise en danger du corps, solitaire ou collectif, les actionnistes viennois font scandale et connaissent de nombreux démêlés avec la justice de leur pays. Leur aptitude à porter à un point ultime la puissance vitaliste de la sexualité, à œuvrer au seuil de l'interdit de la vie organique en recourant au sang, aux cadavres d'animaux et aux excréments est l'une des spécificités de leur démarche. Dans une Autriche qui se remet difficilement du nazisme, le phénomène « actionniste » s'affirme en tant qu'acte de protestation créatrice doté d'un fort caractère de nécessité.

Nourri d'une culture germanique, intéressé par les symboles d'un monde archaïque, Joseph Beuys construit une œuvre multiforme mais fortement marquée par la récurrence de certains thèmes. En quelques années, il impose un type d'actions « chamaniques », par lesquelles il reconsidère de façon symbolique les éléments qui constituent notre approche du monde par delà les clivages de la pensée civilisée : nature/culture, animalité/humanité, matière/pensée. Comment expliquer la peinture à un lièvre mort (1965), action de trois heures durant laquelle il explique, le visage recouvert de miel et de poudre d'or, le sens de l'art à un lièvre mort, se déroule dans une galerie fermée au public, qui doit en suivre la retransmission par vidéo à l'extérieur. Durant la plupart de ses actions, Beuys est séparé du public par des limites discernables, ce qui lui permet de représenter l'espace de la concentration psychique. Son action new-yorkaise I Love America and America likes me (1974) le voit vivre durant un mois dans une galerie en compagnie d'un coyote sauvage avec pour toute protection une couverture de feutre et une canne. Le coyote, animal totémique des Indiens, symbolise la vision transculturelle de l'Amérique, dans une fraternisation spectaculaire entre Blanc et Indien, homme et animal.

D'autres contextes politiques donnent forme à un art du corps interprété, cette fois, comme une réaction face à une société répressive. En 1962, à Prague, à une époque où la société tchèque jouit d'un climat un peu plus libéral, Milan Knizak, qui sera plus tard le représentant de Fluxus et le fondateur du groupe Aktual, ouvre la porte de son atelier et se couche sur la chaussée au milieu d'une grande quantité d'objets qu'il y a déversés. Cet acte anticonformiste, qui s'oppose à l'inertie des comportements convenus, ouvre la voie d'une communication alternative avec le public. Deux ans plus tard, Knizak, aidé par un groupe d'amis, fait évoluer son projet vers des happenings collectifs qui, à l'aide de jeux apparemment absurdes, interrogent l'identité uniforme de l'individu dans un réel régi dans tous ses aspects par une norme écrasante. Dans l'art tchèque des années 1970, les actions inutiles[...]

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Anne TRONCHE. BODY ART [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece» - crédits : Truman Moore/ The LIFE Images Collection/ Getty Images

Yoko Ono : scène de la performance «Sky Piece»

Autres références

  • ABRAMOVIC MARINA (1946- )

    • Écrit par Bénédicte RAMADE
    • 634 mots

    Marina Abramovic née à Belgrade (Serbie) s'est imposée depuis les années 1970 comme l'une des références du body art aux côtés des américains Vito Acconci et Chris Burden. Ses performances parfois extrêmes, documentées par des photographies en noir et blanc commentées, sont restées...

  • ACCONCI VITO (1940-2017)

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 1 073 mots

    Artiste protéiforme, Vito Acconci s'est d'abord consacré à la « poésie concrète », à la photographie et aux performances pour se tourner ensuite vers la vidéo. Chez lui, cette dernière est essentiellement constituée par la mise en scène du corps, tant dans le rapport au langage que dans le rapport...

  • ACTIONNISME VIENNOIS

    • Écrit par Matthias SCHÄFER
    • 2 242 mots
    Dans son action Promenade à Vienne (5 juillet 1965), Brus, vêtu d'habits peints en blanc et ayant tracé une ligne noire de la tête aux pieds, qui semble ouvrir son épiderme, a traversé à pied le centre de la ville (mais la police, qui l'arrête, interrompt l'action). L'artiste voulait ainsi exprimer...
  • BARNEY MATTHEW (1965- )

    • Écrit par Caroline CROS
    • 1 057 mots
    Mais déjà les principales obsessions de l'artiste sont posées : le façonnage du corps, par le sport ou par la chirurgie esthétique, le dépassement de soi, la mutation, l'énergie, l'indifférenciation sexuelle, la volonté et le narcissisme. Ses matériaux de prédilection apparaissent aussi : la vaseline,...
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Voir aussi