BIOGÉOGRAPHIE
La biogéographie s'intéresse à la distribution des organismes vivant sur la Terre et cherche à expliquer les raisons de leur répartition géographique. C'est une discipline à multiples facettes.
Pour les écologues, la biogéographie est une sous-discipline de l'écologie dans la mesure où elle étudie la répartition des espèces en fonction de leurs interactions, leurs conditions de vie, leurs niches écologiques et des composantes de l'environnement – dont la surface géographique – qu'elles occupent. L'écologie des populations (autrefois appelée autécologie) tente de dégager un groupe d'individus d'une espèce de son milieu pour mieux l'éprouver et l'analyser tout en faisant, de façon indépendante, des mesures sur le milieu lui-même. Les ressorts les plus fondamentaux de l'adaptation pourront ainsi être appréciés, mais cela laissera dans l'ombre l'aspect sociologique. L'écologie des communautés (autrefois appelée synécologie), quant à elle, donnera une description satisfaisante des biocénoses (association des êtres vivants peuplant un espace défini) et de leur substratum. L'objet de l'investigation ne sera plus l'individu, ni l'espèce, ni même la population, mais l'écosystème, c'est-à-dire l'ensemble des populations vivantes et la matrice non vivante dans laquelle elles puisent leur subsistance. Enfin, l'écologie dynamique (ou dynécologie) évalue et mesure le potentiel de changement et d'interaction mutuelle des unités écologiques (populations, communautés, écosystèmes), et les situe dans la dynamique du paysage.
Pour les systématiciens (spécialistes de la classification du monde vivant), la manière d'aborder la biogéographie est différente puisqu'elle s'attache à l'histoire des faunes et des flores. Appelée alors biogéographie historique, celle-ci essaie d'expliquer les répartitions actuelles en fonction d'événements anciens. Elle s'intéresse donc aux phénomènes à grande échelle plutôt qu'aux colonisations locales étudiées par les écologues. Il s'agit alors davantage d'étudier l'histoire de la biosphère que les interactions des espèces au sein des communautés ou des écosystèmes. Dans ce domaine, les relations étroites entre l'histoire de la géographie physique et celle de la vie sont au centre du projet du biogéographe.
Afin d'éclairer les diverses opérations nécessaires à la science biogéographique et de faire un rapide inventaire, à l'échelle mondiale, de ses acquisitions et de ses problèmes, il faudra considérer tour à tour la distribution des êtres vivants, les unités biogéographiques et la dynamique des écosystèmes du monde. Les unités biogéographiques terrestres présentent une certaine continuité (non une homogénéité) du point de vue spatial et historique ; leur végétation fournit une sorte de clef pour l'interprétation du paysage de chaque région.
Les contraintes dans la distribution des êtres vivants
Le passé (paléogéographie)
Pour comprendre la forme des aires géographiques des espèces végétales et animales, il ne suffit pas d'examiner la répartition des eaux et des continents, ni de situer les frontières des climats, il faut aussi se rapporter à l'histoire géologique de la planète. La stratification géologique conserve l'histoire de l'apparition et de la disparition des grands groupes de plantes et d'animaux, et nous donne parfois un aperçu de la dominance de l'un ou de l'autre dans le paysage. Dans le monde presque exclusivement minéral du Précambrien, notre planète nous apparaît extrêmement sous-exploitée par des êtres vivants de très petites dimensions et dont la masse totale était très faible. Au cours du Paléozoïque, la grande innovation de la vascularisation chez les végétaux, celle des vertèbres et de la respiration aérienne chez les animaux conduisirent à l'émancipation du milieu aquatique et à la conquête des habitats terrestres. Le relais qui devait donner à nos mers et nos continents leur physionomie actuelle se fit à la fin du Secondaire avec le déclin des grands reptiles et l'expansion des mammifères et des angiospermes. De sorte que le paysage crétacé est déjà « moderne ». C'est donc surtout dans l'histoire du Tertiaire que se trouve l'explication de la position actuelle des espèces. La dislocation produite par la dérive des continents laisse libre cours à l'évolution désormais indépendante des marsupiaux australiens et sud-américains, des arbres eurasiatiques et américains.
Les surrections orographiques créent de nouvelles barrières entre l'est et l'ouest des Amériques, entre le centre et le sud de l'Eurasie ; elles contribuent à l'assèchement de l'intérieur des continents où se développent une faune et une flore nouvelles, fortement marquées par leur adaptation à l'économie de l'eau en milieu aride. Beaucoup plus récemment, les avances et reculs des glaciers aux hautes latitudes, la pulsation des pluies et des sécheresses aux basses latitudes ont causé des migrations massives de la végétation et des populations animales ; des fossiles récents nous révèlent la présence de gazelles et d'hippopotames dans le Sahara, de séquoias et de liquidambars dans le sud de la France, de mastodontes dans le Michigan, de chameaux au Mexique. Ces populations ont désormais complètement disparu ou bien se sont réfugiées dans une aire fort restreinte ; non sans qu'on ne puisse reconstituer leurs migrations. Cependant, les organismes qui ont résisté aux changements géologiques et climatiques fournissent, eux aussi, une image encore plus claire des courants transhémisphériques du passé (fig. 1). De plus, ils nous permettent de mesurer plus exactement leur dépendance vis-à-vis des éléments météorologiques (fig. 2) et édaphiques (fig. 3). Malgré les réserves qu'il convient de faire, c'est en extrapolant les exigences des formes actuelles (chênes, sapins, élans, gazelles) que nous pouvons reconstituer les paléoclimats.
Finalement, la biogéographie reconnaît et classifie un certain nombre d'éléments floristiques et faunistiques selon la zone géographique où s'est déroulée leur phylogénie. Ainsi, le sapin et l'ours noir sont boréaux ; les chênes verts, méditerranéens ; les eucalyptus et les monotrèmes, australiens ; les oiseaux de paradis, néo-guinéens ; les pingouins, arctiques-antarctiques.
Le présent (écologie)
La grande variété des types dans la distribution géographique des espèces vivantes nous révèle d'autre part les interactions diverses des péripéties géoclimatiques et des forces qui agissent dans les milieux actuels.
Les unités biogéographiques ne peuvent réellement se manifester et être mesurées par les écologues qu'au niveau même où s'effectue un échange entre la plante, ou l'animal, et le milieu dans lequel sont puisées les ressources nécessaires à leur subsistance et leur perpétuation. D'autre part, l'origine et le renouvellement des ressources elles-mêmes caractérisent les habitats, cependant que la nature des écosystèmes détermine la mosaïque vivante des paysages.
Fonctionnement des biocénoses
On appellera microbiosphère l'espace métabolique à l'intérieur duquel une plante ou un animal absorbe, transforme et rejette ce que lui offre le milieu. Les ressources gazeuses, liquides et solides que contiennent l'air et le sol sont caractéristiques des divers habitats par leur qualité, leur quantité, leur rapport et leur périodicité : lumière, chaleur, énergie, eau, oxygène, dioxyde de carbone, et autres substances inorganiques et organiques sont produits inégalement par les divers habitats, inégalement contenus dans l'air et dans le sol, inégalement renouvelables aussi par l'action du climat sur la roche mère, par le déplacement des masses d'air et par le déplacement des êtres vivants eux-mêmes.
On appellera écosystème un espace limité où le cyclage des ressources, à travers un ou plusieurs niveaux trophiques, est effectué par des agents plus ou moins fixés et nombreux, utilisant simultanément et successivement des processus mutuellement compatibles qui engendrent des produits utilisables à courte ou longue échéance. La nature et le nombre des agents et l'efficacité des processus dont ils disposent régleront leur productivité à chaque niveau et détermineront la distribution de la charge trophique. Les ressources naturelles, minérales ou organiques d'un site constituent un potentiel nutritif que les êtres vivants utilisent selon des modes d'exploitation divers et interdépendants.
L'écosystème est souvent présenté sous la forme d'une pyramide où les agents sont stratifiés à la fois selon leur nombre et selon leur position dans le cycle des transformations. Les plantes vertes sont les producteurs, capables d'utiliser directement l'énergie solaire (processus de la photosynthèse) : après avoir absorbé directement des gaz et liquides dans l'air et le sol, elles élaborent des substances éventuellement très complexes ; certaines peuvent être mises en réserve, quelquefois pour longtemps (graines, bois, bulbes et rhizomes). Les herbivores (insectes, oiseaux, mammifères) sont les premiers consommateurs : ils transforment la matière végétale en substances animales. Couronnent la pyramide, les carnivores de premier ordre (se nourrissant d'herbivores), de deuxième ou de troisième ordre.
Tous ces agents rendent constamment au milieu, plus ou moins transformées, les substances qu'ils y ont puisées : la photosynthèse, la respiration, l'élimination catabolique et finalement la mort jettent constamment hors de l'orbite du cycle vital de nombreux produits minéraux ou organiques. Ceux-ci peuvent être « perdus », entraînés dans l'atmosphère, drainés dans le sol, ou transformés en matériaux biologiquement irrécupérables (charbon, pétrole). La plupart des dépôts organiques sont cependant repris par des organismes en général microscopiques, les réducteurs, qui « simplifient » les résidus et les rendent de nouveau accessibles aux plantes qui les récupèrent pour leurs biosynthèses.
Dans un habitat donné, on rencontrera une variété plus ou moins grande d'exploitants, chacun accomplissant sa fonction telle qu'elle est inscrite dans son patrimoine génétique. Plantes vertes, herbivores, carnivores et réducteurs maintiendront donc localement (et pendant quelque temps) un équilibre qui dépend de leur compatibilité. Certains seront enracinés et permanents, d'autres symbiotiques, saprophytes ou épiphytes et d'autres phytophages ou carnivores, sédentaires ou migrateurs. L'équilibre entre la production et la consommation peut donc être atteint grâce à un grand nombre d'associations entre espèces susceptibles de se partager les ressources du site. Un cas particulièrement intéressant est la récolte par les oiseaux migrateurs d'un « surplus » de production dans les forêts tempérées et les savanes tropicales.
Structuration et assemblage des biocénoses
Les échanges physiologiques se font dans la plus petite pièce de la mosaïque écologique, c'est-à-dire dans l' écotope. Cette « niche » où s'insère la plante ou l'animal est donc son « foyer » métabolique. Elle dépend à son tour d'un milieu, organisé à une échelle plus grande, et dont la structure et le dynamisme présentent des caractères propres. L' association végétale se composera ainsi d'une ou de plusieurs strates, chacune pouvant abriter plusieurs écotopes.
Les conditions édaphiques et climatiques qui les distinguent les uns des autres sont parfois très importantes. Ainsi, une forêt inondée laurentienne aura un « écotope-tertre » en général exondé, où se formera un humus acide très favorable aux plantes sylvestres des terres hautes (maianthème, tiarelle), tandis que l'« écotope-dépression », plus longuement inondé, sera tapissé d'une terre noire à réaction plus ou moins neutre et abritera des plantes résistant à l'asphyxie des racines comme la fougère royale ; puis, quand les eaux baisseront, des annuelles, comme l'impatiente, germeront dans ce sol riche et désormais mieux aéré.
Les associations ou formations végétales à leur tour se répartissent dans les écosystèmes qui leur conviennent. L'ensemble du paysage, selon sa roche mère, son relief, son drainage, offre une gamme de ressources exploitées fort diversement par chaque écosystème (fig. 3).
Les paysages toutefois, malgré l'identité possible de leur relief, de leur histoire géologique, de leur roche mère et même de leur système de drainage, subissent un contrôle climatique qui détermine l'assortiment des écosystèmes. Les climats limitent, bien entendu, la distribution géographique des espèces, mais ils agissent encore de façon directe sur la libération des ressources et le rythme de leur disponibilité. C'est pourquoi les Appalaches, qui s'étendent de l'Alabama (en vue du golfe du Mexique) jusqu'à la Gaspésie (dans le golfe du Saint-Laurent), subissent, du fait des divers climats, des pédogenèses fort différentes. Des végétations distinctes s'y trouvent associées. Ainsi, selon l'altitude : des forêts de chênes et de caryers (Carya), des forêts d'érables et de hêtres, des forêts d'érables, bouleaux jaunes et pruches (Tsuga canadensis), des forêts de sapins et d'épicéas. L'extension géographique de ces associations forestières, caractéristiques des sols zonaux (les plus évolués), fournit le principal critère pour la délimitation de zones bioclimatiques. On pourra ainsi reconnaître, dans l'est de l'Amérique du Nord, entre les Grands Lacs et le Saint-Laurent au nord, la Floride et le golfe du Mexique au sud, l'Atlantique à l'est, et le méridien de 1000 de longitude ouest, neuf régions, caractérisées chacune par un climax (chênaie à caryers, chênaie à châtaigniers, etc.). Ces neuf régions appartiennent toutes à une seule classe de formation groupant les associations végétales de la forêt décidue tempérée. D'autres classes de formation lui sont contiguës : au nord la forêt aciculifoliée sempervirente, à l'ouest la prairie. Tandis que les unités régionales se caractérisent à la fois par leur structure (forêt fermée à feuilles caduques en hiver) et par leur composition (dominance soit des chênes, soit des érables, soit des tilleuls), la classe de formation n'a de définition que structurale, ce qui la rend applicable universellement. Ainsi, il importera peu qu'au Chili et en Afrique du Sud les arbres dominants ne soient pas des chênes mais des Protéacées, la végétation-climax appartient à une même classe de formation parce qu'elle est une forêt sclérophylle essentiellement semblable dans sa structure à la chênaie sempervirente de l'Espagne et de la Californie. Le point crucial, entrevu par Humboldt et formulé par Schimper, est celui-ci : les régions terrestres où règne le même climat développeront la même structure de végétation, même si elles n'ont entre elles aucune affinité floristique. Malgré les réserves qu'appelle une telle généralisation, et malgré le besoin de qualifier les manifestations régionales des classes de formation, il est remarquable qu'on puisse trouver beaucoup plus qu'une analogie entre les toundras arctiques, alpines et antarctiques, entre les prairies et les steppes nord-américaines et eurasiatiques, entre les déserts de l'Ancien et du Nouveau Monde.
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Écrit par
- Pierre DANSEREAU : professeur émérite à l'université du Québec, Montréal
- Daniel GOUJET : professeur au Muséum national d'histoire naturelle
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- CLIMATIQUES FACTEURS
- ÉQUILIBRES NATURELS
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- SYSTÉMATIQUE
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- PRAIRIES & FOURRAGES
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