BANQUES CENTRALES
Le rôle de prêteur ultime
La doctrine
L'inflation n'est qu'un des facteurs d'altération de la confiance dans la monnaie ; le risque systémique qui met en péril le système de paiements en représente un autre. Ce dernier est lié au développement des formes diverses d'instabilité financière. Elles peuvent se manifester au sein du système bancaire (par exemple, la crise des Caisses d'épargne dans les années 1980 aux États-Unis, les nombreuses crises bancaires en Europe au début des années 1990). Les banques sont vulnérables à des runs mais aussi à des chocs de liquidité ou d'insolvabilité. Au départ cantonnée à une seule banque, la difficulté s'étend à d'autres banques, par contagion et réaction en chaîne, du fait des positions de créances et dettes interbancaires. Ces externalités négatives associées aux faillites bancaires et les crises systémiques qui peuvent en résulter justifient l'intervention d'un prêteur ultime, fonction qu'une banque centrale est la mieux à même d'assumer.
L'intervention d'un prêteur ultime, la banque centrale, est soulignée chez les auteurs du xix e siècle. Selon Henry Thornton (1802), les billets de la Banque d'Angleterre (et non ceux des banques locales) sont considérés comme très liquides. Ils servent ainsi en temps normal d'instruments de règlement et sont au centre du système de paiement. Lors de crises de liquidité (comme celle de 1793, durant laquelle se produisirent de nombreuses faillites bancaires, une conversion de dépôts en billets et une thésaurisation de billets), la recherche d'actifs liquides pouvant servir de moyens de règlement aboutit à raréfier ces derniers. Le système de paiements menace alors de rompre. L'intervention conjoncturelle et temporaire de la Banque d'Angleterre (qui n'est pas publique mais qui devrait avoir en charge l'intérêt général) peut alors être nécessaire pour offrir de la monnaie de base, en s'affranchissant de la contrainte imposant de respecter un coefficient fixe de réserves métalliques. Son intervention vise à rétablir la régularité des paiements, et donc la confiance, et à éviter les faillites de banques solvables et les conséquences qui en résultent sur le secteur réel. Elle peut s'adresser à l'ensemble des banques ou soutenir celles qui représentent un maillon faible du système.
Ce rôle de prêteur ultime, qui concerne les périodes courtes de crises, se distingue de l'action de politique monétaire mais doit cependant lui être articulé. Walter Bagehot, en 1873, a développé les principes qui doivent guider l'intervention du prêteur ultime : la banque centrale doit prêter sans limites, à un taux d'intérêt pénalisant, à l'ensemble du marché, aux seules banques illiquides mais solvables, c'est-à-dire en contrepartie de garanties ou d'actifs de bonne qualité, évalués à leur valeur économique normale avant la crise.
La pratique
Plus près de nous, l'action du prêteur ultime s'est modifiée pour tenir compte de l'évolution des structures financières. Le mouvement de concentration bancaire, l'interpénétration des positions et la difficulté de distinguer entre situations d'illiquidité et situations d'insolvabilité ont amené les responsables monétaires à prêter à toute institution de grande taille dont la faillite risque d'entraîner avec elle celle du système : c'est le principe du too big to fail.
Le prêteur ultime est menacé par le phénomène de l'aléa moral, inhérent à tout mécanisme d'assurance, puisqu'il s'agit ici d'une assurance contre le risque d'illiquidité. Il peut, en effet, par sa propre action, encourager l'imprudence des banques assurées qui savent que leur action n'est pas observable. Il doit donc ne pas agir de façon automatique[...]
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Écrit par
- Sylvie DIATKINE : professeur d'Université en sciences économiques, université de Paris-XII
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Pour citer cet article
Sylvie DIATKINE, « BANQUES CENTRALES », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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Voir aussi
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