Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ANTHROPOLOGIE DU PATRIMOINE

  • Article mis en ligne le
  • Modifié le
  • Écrit par

Le patrimoine comme image de soi. Culture, altérité et performance

Selon Barbara Kirshenblatt-Gimblett (2004), le patrimoine culturel serait en ce sens un métadiscours sur les cultures humaines et donnerait accès à différentes narrations des identités culturelles. Si elles sont bien en tension dans l’espace public comme on vient de le voir, les récits de soi patrimoniaux donnent accès aux motivations individuelles ou collectives, aux rôles d’acteurs spécifiques et aux contextes d’expression facilitant la diffusion de ces discours d’identification culturelle. Cette perspective ouvre trois chantiers principaux.

Le désir de reconnaissance et le sentiment de perte

La logique qui a conduit à l’institution des patrimoines nationaux a effacé pour partie les altérités intérieures (minorités religieuses, cultures régionales, populations immigrées) qui ne sont entrées, pour la plupart d’entre elles, que tardivement dans le récit patrimonial reconnu par les États. L’affiliation des patrimoines de tels groupes s’est essentiellement fondée sur des activités de reconnaissance politique de leur existence, à travers des revendications, des appels ou des luttes culturelles qui exprimaient une volonté de faire une place à la diversité culturelle interne des nations. Les modèles d’organisation politique des États-nations, plus ou moins sensibles à l’existence des différences en leur sein, ont influencé la réception de telles revendications : la France ou le Brésil, par exemple, n’ont pas donné la même place aux revendications des autochtonies, séparant la citoyenneté des attachements culturels spécifiques pour la France, valorisant patrimonialement la diversité des origines ethniques pour le Brésil. Mais l’accès au statut patrimonial peut également s’appuyer sur une situation dans laquelle un groupe identifie des risques de disparition pure et simple des éléments matériels ou spirituels qui lui semblent essentiels. Les discours et les pratiques ciblant le danger de disparition des espèces animales ou végétales, l’irruption de la modernité technologique et l’uniformisation culturelle à l’échelle mondiale, la détérioration d’édifices antiques grandioses, la fin programmée d’une activité industrielle, ou l’événement bouleversant radicalement un site ou un écosystème, participent de ce que Daniel Fabre a identifié comme des « émotions patrimoniales » (2013). Des individus de la société civile se regroupent, interpellent les pouvoirs publics, activent des réseaux internationaux pour remédier à un changement structurel ou à la disparition d’un bien dont la conservation leur paraît nécessaire. Les sentiments et les réactions que les acteurs expriment alors rejoignent la logique de la perte durable, dont parle Gaetano Ciarcia (2006) pour définir le souci contemporain du patrimoine, qui permet à une société de légitimer son futur sur ce qu’elle identifie comme perdu ou en danger de disparition.

Les entrepreneurs de patrimoine

Les situations de revendication patrimoniale mettent au jour le rôle central d’acteurs qui prennent l’initiative, qui s’invitent dans l’espace public et qui parlent au nom des biens en danger. Bien souvent, ils se situent socialement à la frontière entre les groupes qui désirent protéger ces biens et des réseaux culturels et politiques qui leur permettent de prendre la parole au-delà du groupe. Parfois, leurs actions aboutissent à la création d’une association, à une publication, ou au classement patrimonial de leur objet, mais également à la création d’un musée, d’un parcours touristique ou d’un projet de développement local. Anthropologues des communautés indigènes se battant contre les sociétés d’exploitation forestière, nouveaux habitants de zone rurale défendant la restauration de l’église du village, musiciens urbains reprenant les instruments et les répertoires traditionnels, érudits enthousiastes[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Cyril ISNART. ANTHROPOLOGIE DU PATRIMOINE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 31/05/2017

Médias

Galerie des Offices, Florence - crédits : Gordon Bell/ Shutterstock

Galerie des Offices, Florence

Palais du facteur Cheval, Hauterives (Drôme) - crédits : Emmanuel Georges/ Collection Palais Idéal

Palais du facteur Cheval, Hauterives (Drôme)

Autres références

  • MÉMOIRES URBAINES (anthropologie)

    • Écrit par
    • 2 471 mots
    • 1 média
    ...recherche se saisit de scènes publiques urbaines. Les mémoires offrent des éclairages sur des villes et des urbanités en mutation, et font la valeur du patrimoine des territoires en crise, des sites industriels ou des périphéries urbaines, comme le montrent les premières recherches menées en France sur...
  • PATRIMOINE ET MIGRATIONS

    • Écrit par
    • 1 225 mots

    L’introduction des migrations dans le champ des recherches sur le patrimoine date de la fin des années 2000. Conçue au départ comme une prérogative de l’État, l’institution du patrimoine s’est pendant longtemps consacrée à la sélection et à la valorisation des biens d’exception, favorisant la construction...