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ANTHROPOLOGIE DU PATRIMOINE

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Le patrimoine, une fabrique de l’humain

Ne pas considérer le patrimoine comme un donné ou un acquis dans les sociétés qui s’en dotent conduit finalement à l’approcher comme une construction sociale du passé dans laquelle se réalise une représentation de la culture au présent et au futur. En ce sens, les patrimonialisations susceptibles de faire l’objet d’une approche critique (Hertz et Chappaz-Wirthner, 2012 ; Harrison 2013) qui vise à défaire les idées préconçues sur la moralité, le bien-fondé et l’évidence de l’existence du patrimoine, apparaissent comme des discours et des pratiques réflexives sur la place du groupe dans l’histoire, en matérialisant et signifiant un rapport au temps spécifique. L’anthropologie du patrimoine interroge ainsi deux thématiques englobantes.

D’une part, l’anthropologie permet de révéler la dimension sociale et politique du patrimoine, en déconstruisant le rôle transcendant ou moraliste dont le parent les usages nationalistes, intergouvernementaux, les ministères et l’UNESCO, ouvrant alors des terrains ethnographiques à partir desquels interroger le patrimoine. Il est nécessaire de démêler les jeux de pouvoir et de diplomatie internationale qui valorisent certains objets et en cachent d’autres. Il devient également possible de suivre la circulation des modèles de fabrication du patrimoine qui induisent certaines modalités de mise en scène et ferment le champ des possibles. L’approche anthropologique analyse en outre les parcours, les motivations et les activités des professionnels ou des acteurs qui agissent en dehors des institutions afin de mieux contextualiser leurs contraintes et leurs marges de manœuvre. Elle montre finalement comment se combinent les idéaux rassembleurs portés par les institutions nationales ou intergouvernementales du patrimoine et l’irréductible fabrication des différences culturelles qui anime chaque groupe humain.

D’autre part, l’anthropologie expose le patrimoine au risque du comparatisme. L’Inventaire général de la France, les listes de biens représentatifs de l’UNESCO, les parcs naturels, les banques de semences ou la valorisation touristique représentent une diversité de dispositifs issus du monde occidental, mais dont la comparaison interne reste à faire. Pour autant, d’autres formes de conservation du passé, comme les trésors vivants japonais, les rituels commémoratifs des monothéismes abrahamiques, les narrations mythologiques des origines ou les mémoires généalogiques des griots constituent également des modes de patrimonialisation qui se combinent aujourd’hui aux modalités occidentales. Mais, loin de séparer les Occidentaux et les « Autres » selon leur mode de relation au passé, la comparaison anthropologique contemporaine propose au contraire de saisir, dans leur diversité non hiérarchisée, les gestes qui permettent aux hommes, dans un contexte culturel spécifique et touché par la circulation globalisée des valeurs et des outils patrimoniaux, d’élire, parfois de manière conflictuelle, des objets qui orientent leur futur.

— Cyril ISNART

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Cyril ISNART. ANTHROPOLOGIE DU PATRIMOINE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 31/05/2017

Médias

Galerie des Offices, Florence - crédits : Gordon Bell/ Shutterstock

Galerie des Offices, Florence

Palais du facteur Cheval, Hauterives (Drôme) - crédits : Emmanuel Georges/ Collection Palais Idéal

Palais du facteur Cheval, Hauterives (Drôme)

Autres références

  • MÉMOIRES URBAINES (anthropologie)

    • Écrit par
    • 2 471 mots
    • 1 média
    ...recherche se saisit de scènes publiques urbaines. Les mémoires offrent des éclairages sur des villes et des urbanités en mutation, et font la valeur du patrimoine des territoires en crise, des sites industriels ou des périphéries urbaines, comme le montrent les premières recherches menées en France sur...
  • PATRIMOINE ET MIGRATIONS

    • Écrit par
    • 1 225 mots

    L’introduction des migrations dans le champ des recherches sur le patrimoine date de la fin des années 2000. Conçue au départ comme une prérogative de l’État, l’institution du patrimoine s’est pendant longtemps consacrée à la sélection et à la valorisation des biens d’exception, favorisant la construction...