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TARKOVSKI ANDREÏ (1932-1986)

Le souffle de l'esprit

Constatant, comme Bernanos, le fossé existant à notre époque entre l'essor des technologies et le recul des valeurs spirituelles, hostile, sur le plan idéologique, au matérialisme marxiste et, sur un registre esthétique, au « réalisme socialiste », Tarkovski tente de rendre à ses contemporains l'intuition du spirituel comme force de vie essentielle. Depuis Stalker, à travers la diégèse de ses films, il affirme l'inspiration religieuse de son art. Son esthétique s'analyse comme une esthétique du sacré. De cette inspiration relèvent la partition musicale (Bach, Pergolèse, Purcell) du Miroir et du Sacrifice, les références picturales à l'icône de La Trinité d'Andrei Roublev et à Léonard de Vinci – La Vierge au rocher (Le Miroir), L'Adoration des mages (Le Sacrifice) –, tout comme le symbole christique de la croix : grande croix de bois plantée au cœur d'une vaste prairie, sans aucune raison apparente (Le Miroir) ; poteaux télégraphiques en forme de croix, à l'entrée de la « zone » (Stalker), signe même du sacré aux frontières de l'univers quotidien et de l'espace du spirituel ; croix du salut (Le Sacrifice) dessinée par un panoramique qui remonte lentement le long du tronc de l'« arbre sec » jusqu'aux branches desséchées.

Mais, le plus souvent, c'est la métaphore unie à une symbolique chrétienne qui nous suggère l'inspiration religieuse du cinéaste. Images métaphoriques : la couronne d'épines posée sur la tête de l'écrivain, le poisson dans l'eau de la « chambre des désirs » (Stalker), l'envol de l'oiseau lâché par Aliocha (Le Miroir), celui des multiples oiseaux s'échappant d'une Madone (Nostalghia). Récits métaphoriques, aussi. Faux film de science-fiction, récit de voyage initiatique débouchant sur le vide, Stalker peut se décrypter comme la métaphore d'un univers « concentrationnaire » plongé dans le désespoir, aliéné par un pouvoir d'inspiration totalitaire où, seule, une figure de « bienheureux » dostoïevskien s'efforce de préserver une invincible espérance par la foi. Voyage-enquête en Italie d'un écrivain russe à la recherche de son inspiration, Nostalghia se lira comme la double nostalgie d'un Slave séparé de sa terre natale et de l'homme contemporain coupé de ses racines spirituelles. Testament de l'auteur, Le Sacrifice substitue à la métaphore la parabole – d'inspiration éminemment biblique – pour nous rendre sensible une thématique de la Passion et de la Rédemption.

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, critique de cinéma

Classification

Pour citer cet article

Michel ESTÈVE. TARKOVSKI ANDREÏ (1932-1986) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

L'Enfance d'Ivan, A. Tarkovski - crédits : De Agostini

L'Enfance d'Ivan, A. Tarkovski

Autres références

  • LE SACRIFICE, film de Andreï Tarkovski

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 898 mots

    Fils et petit-fils de poètes, Andreï Tarkovski (1932-1986) opte pour le cinéma, après avoir envisagé la musique et la peinture. Il suit le cursus de la grande école de cinéma de Moscou, le V.G.I.K., mais se révèle vite un produit atypique de son enseignement ; son premier film, L'Enfance...

  • LE SACRIFICE (A. Tarkovski), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 207 mots

    « Je considère que notre civilisation mourra du progrès matériel, à cause non pas des conséquences physiques, mais bien plutôt des conséquences spirituelles qui en résultent. » Cette réflexion est à l'origine du dernier film d'Andrei Tarkovski (1932-1986), un des rares cinéastes à l'inspiration authentiquement...

  • MÈRE ET FILS (A. Sokourov)

    • Écrit par Michel ESTÈVE
    • 1 402 mots

    Dans Le Temps scellé, évoquant les « génies » du cinéma, Andrei Tarkovski plaçait Alexandre Sokourov aux côtés de Jean Vigo, Robert Bresson, Luis Buñuel, Satyajit Ray et Mizoguchi Kenji. La beauté de Mère et fils (1997) confirme la lucidité de ce jugement. L'auteur de Stalker souhaitait...

  • MICHEL-ANGE (A. Konchalovski)

    • Écrit par René PRÉDAL
    • 1 096 mots
    • 1 média

    Andreï Konchalovski, réalisateur du film biographique Michel-Ange sorti en 2019, est né le 20 août 1937 à Moscou. Petit-fils du peintre Piotr Kontchalovski, fils de l’écrivain Sergueï Mikhalkov, frère du cinéaste Nikita Mikhalkov, Andreï Konchalovski (qui orthographiera son nom sans « t », à l’anglo-saxonne,...

  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Michel CHION
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....

  • RUSSE CINÉMA

    • Écrit par Bernard EISENSCHITZ
    • 10 135 mots
    • 6 médias
    L'Enfance d'Ivan, lion d'or à Venise, renouvelait le traitement de la guerre, vue à travers les yeux d'un enfant et avec une dimension onirique. Il fut défendu par Jean-Paul Sartre contre des attaques « de gauche ». Avec Andrei Roublev (1967), Andrei Tarkovski affirme sa recherche...

Voir aussi