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PENSÉE

« Penser » a, dans notre vocabulaire courant, des sens multiples. Mais les pensées sont avant tout des états mentaux, doués de contenus, avant d'être les produits d'une activité réflexive de l'esprit. Une théorie de la pensée doit d'abord s'appuyer sur une conception du mental. Les pensées ont des contenus « intentionnels » qui sont susceptibles d'être vrais ou faux. Mais on ne peut pour autant les isoler de l'esprit qui les pense. Selon la conception cartésienne, elles sont nécessairement conscientes et « privées », au sens où je suis le seul capable d'en connaître les contenus. Mais les philosophes qui, comme Wittgenstein, s'opposent à cette identification du mental et du privé insistent au contraire sur les critères publics et linguistiques de toute possession de pensées, et sur leur nature dispositionnelle plutôt que sur les processus – mentaux ou physiques – qui les sous-tendent. La philosophie contemporaine de la psychologie, inspirée par les « sciences cognitives » et l'intelligence artificielle, s'intéresse au contraire à la nature des processus et des représentations mentales, et puise son inspiration dans une forme renouvelée de mécanisme, en comparant les pensées aux calculations internes d'un ordinateur. Elle explique ainsi l'intelligence et les activités de pensée par la manipulation de représentations symboliques encodées dans l'esprit. Mais, malgré ses efforts réductionnistes, elle se heurte à l'irréductibilité des contenus intentionnels, c'est-à-dire au fait que les pensées ont le pouvoir de représenter le monde d'une certaine façon, et de causer des actions en vertu de leurs contenus, sans que ces propriétés puissent recevoir ultimement une explication scientifique.

Qu'appelle-t-on penser ?

Le verbe « penser » et le substantif correspondant « pensée » recouvrent une grande variété d'activités, d'événements, de phénomènes ou d'états mentaux. On peut cependant distinguer deux sens principaux de ces termes. Au sens le plus large, une pensée est un certain état mental, dont le contenu représente un certain état de choses. « Il est tombé par terre parce qu'il pensait qu'il y avait une chaise derrière lui. » « J'ai tout de suite pensé que vous étiez Livingstone. » Dans ces contextes, on pourrait remplacer « penser » par « croire », « juger » ou « reconnaître ». « Penser » appartient à la catégorie des verbes que les philosophes appellent, à la suite de Russell, « attitudes propositionnelles » tels que « douter que », « vouloir que », « souhaiter que », par lesquels nous rapportons les contenus (exprimés par les propositions complétives introduites par « que ») des attitudes que nous attribuons à des individus, en particulier quand nous cherchons à expliquer leur comportement.

En ce sens large, où « penser » est plus ou moins synonyme de « croire », une pensée n'est pas nécessairement un acte d'assentiment réfléchi à un contenu mental (le conducteur peut penser qu'il doit tourner à droite sans y réfléchir), bien qu'elle puisse l'être en principe (le conducteur peut concentrer son attention sur le fait qu'il doit tourner à droite). Au sens étroit, une pensée est un acte réfléchi, conscient et délibéré dans lequel on s'engage volontairement : le joueur d'échecs pense qu'il doit avancer sa tour, le cuisinier pense à son menu, le philosophe pense que le néant n'a pas de propriétés. Une pensée est, en ce sens, rarement un acte mental isolé : elle fait partie intégrante d'un raisonnement, d'un calcul ou d'une suite d'autres pensées. Elle est alors un processus discursif, actif et intentionnel, qui dure un certain temps, et dont le résultat peut être un certain[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

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Pour citer cet article

Pascal ENGEL. PENSÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

Autres références

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
    • 12 228 mots
    ...nouveauté de Kant dans l'histoire de la philosophie, le « renversement » ou la « révolution copernicienne », consiste en sa conception architectonique de la pensée, c'est-à-dire en ce que les termes (concepts) et les choses (Sachen) de la pensée dépendent, dans leur pouvoir de signifier, de l'orientation...
  • ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

    • Écrit par Robert BOURGNE
    • 4 560 mots
    ...faibles. « Le relativisme pensé est par là même surmonté. » La partie suffit, autant que chaque partie tient aux autres. Il faudrait donc se guérir de vouloirpenser toutes choses, s'exercer à penser une chose sous toutes les idées ou actes par quoi l'esprit ordonne et oppose ses propres déterminations.
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    Si l’anthropologie s’est définie contre la métaphysique classique en remplaçant un discours sur Dieu comme fondement de toutes choses par un discours sur l’homme comme sujet et objet de connaissance (Foucault, 1966), elle a renoué depuis les années 1980 avec l’ontologie, définie comme un...

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