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PENSÉE

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Langage de la pensée et individuation des contenus intentionnels

Le fonctionnalisme est plus ou moins la thèse « officielle » des sciences «  cognitives », c'est-à-dire de toutes les disciplines qui cherchent à expliquer le comportement en termes de traitement de l'information et de manipulations de représentations mentales. Si l'on veut échapper à l'interactionnisme cartésien, il est nécessaire de supposer que ces représentations sont physiques et exercent des effets physiques sur le comportement. La solution proposée par J. Fodor (1975, 1987) consiste à identifier ces représentations avec des symboles physiques dans l'esprit, constituant un « langage de la pensée » (le « mentalais ») comparable au langage « interne » des ordinateurs, qui « agissent » précisément en fonction des inscriptions concrètes qu'ils manipulent. Penser est un état fonctionnel qui implique des relations (calculatoires) avec des symboles ou phrases d'un langage interne, qui ne peut être que « privé » et « inné ». La comparaison fort peu cartésienne des pensées aux états d'une machine se trouve donc associée chez Fodor à cette thèse « cartésienne » d'une pensée dont les contenus ne peuvent être individualisés que par les états internes des sujets, indépendamment des propriétés de l'environnement (principe dit du « solipsisme méthodologique »). Et l'hypothèse « intellectualiste » que défend Fodor contre Wittgenstein est aussi « cartésienne » : toute manifestation d'intelligence repose sur la possession, par l'esprit, de représentations et sur un calcul sur ces représentations, et toute activité de « suivre une règle », comme celle de parler un langage naturel, implique la possession par l'esprit de représentations explicites et de processus cognitifs internes présidant à l'exercice de cette activité. (On peut néanmoins se demander ce qu'il reste du « cartésianisme » ici, puisque ces processus et représentations ne sont pas conscients.)

Cette théorie « représentationnelle » de la pensée ne va pas de soi.

En premier lieu, si penser, c'est inscrire dans son esprit une certaine « phrase mentale » composée de symboles d'un code interne représentant le contenu de cette pensée, qui va se représenter cette pensée ? Non pas le sujet lui-même – car les représentations de la psychologie cognitive et de l'intelligence artificielle sont largement inconscientes et « infra-personnelles » – mais de petits « homoncules » (D. Dennett) chargés, pour chaque tâche cognitive, d'accomplir les diverses routines sur lesquelles est fondée l'intelligence. Mais il est clair que ces processus infra-personnels n'interprètent rien et ne peuvent pas être dits, au sens ordinaire, comprendre les représentations qu'ils activent. Et, s'ils « interprètent » les contenus des symboles qu'ils manipulent, ne doivent-ils pas déjà posséder un langage ? Fodor n'évite ici la régression à l'infini qu'en postulant l'innéité du « langage de la pensée ».

Mais, même si l'on admet cette hypothèse, il est difficile d'admettre que toute pensée doit faire l'objet d'une représentation explicite dans l'esprit. En ce sens, Wittgenstein et Ryle ont sans doute raison de dire que nombre de pensées et de croyances reposent sur un fonds dispositionnel implicite : je crois sans doute que les éléphants ne portent pas de pyjamas, mais cette pensée ne m'est jamais « venue à l'esprit ». Et, comme on l'a noté ci-dessus, la plupart des pensées ont une structure holistique : leur contenu ne se définit pas individuellement par l'inscription d'une représentation individuelle, mais par leurs relations à d'autres contenus de pensée. Comme on l'a vu, on n'a de pensées que si l'on peut articuler des concepts qui en forment les contenus.[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences de philosophie, université de Grenoble-II et C.N.R.S

Classification

Pour citer cet article

Pascal ENGEL. PENSÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Ryle - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

Ryle

Autres références

  • AFFECTIVITÉ

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    • 12 228 mots
    ...nouveauté de Kant dans l'histoire de la philosophie, le « renversement » ou la « révolution copernicienne », consiste en sa conception architectonique de la pensée, c'est-à-dire en ce que les termes (concepts) et les choses (Sachen) de la pensée dépendent, dans leur pouvoir de signifier, de l'orientation...
  • ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

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    ...faibles. « Le relativisme pensé est par là même surmonté. » La partie suffit, autant que chaque partie tient aux autres. Il faudrait donc se guérir de vouloirpenser toutes choses, s'exercer à penser une chose sous toutes les idées ou actes par quoi l'esprit ordonne et oppose ses propres déterminations.
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